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VENDREDI 7 JUIN

18h30


PIERRE RAUFAST

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Biographie



Pierre Raufast est né à Marseille en 1973. Depuis son premier roman, La Fractale des raviolis (prix de la Bastide et prix Talents Cultura 2014), il se plaît à jouer avec les structures narratives. Quand il n’écrit pas, il travaille dans la cybersécurité (et vice versa). 

Portrait (c) Nelly Raufast

HORAIRES D'OUVERTURE:   DU MARDI AU SAMEDI 9h-19h non stop


RENTREE LITTERAIRE 2023💥

  • Le pays des loups – Craig JOHNSON

    Après ses folles péripéties au Mexique (lire en amont « Western Star » et « Le cœur de l’hiver » du même auteur), le shérif Walt Longmire est de retour dans son comté d’Absaroka dans le Wyoming. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il retrouve des affaires « plus rurales ». Il est appelé en renfort, après qu’un cadavre de mouton ait été retrouvé. Et qui dit mouton attaqué dit loup forcément inquiété. De plus, il se répand comme une trainée de poudre qu’un vieux mâle a été entraperçu. Et ça la population locale n’est pas prête à le supporter. Mais ce qui va surtout intéresser Longmire, c’est qu’à quelques encablures du cadavre du mouton, il va tomber sur une victime autrement plus délicate : un pendu. Suicide ? Meurtre ? rien ne peut être écarté. La victime est un berger, engagé par une puissante famille de la région. Longmire va donc rendre visite au patriarche qui parait assez évasif et surtout qui semble entretenir des liens étranges avec son petit fils. Et si le pendu avec vu, entendu ou même assisté à des choses qui ne doivent pas être dévoilées ?


    Un retour au bercail réussit pour Craig Johnson et son shérif fétiche, la nature sauvage, les animaux et son humour tenant une place prépondérante dans son récit. Il parvient également à conserver une approche toujours mystique, comme l’atteste la présence d’étranges signes provenant de Virgil White Buffalo, le guide spirituel de Longmire, pour l’aider dans son enquête qui va s’avérer plus complexe qu’une simple agression de mouton. 


    Un bon roman Gallmeister, comme on les aime, qui mêle la nature sauvage aux turpitudes de l’Amérique qui le sont tout autant. 


    Gallmeister – 24.50 euros

  • L’intuitionniste – Colson WHITEHEAD

    Ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire un livre sur l’univers des ascenseurs ! 


    Dans ce qui s'avère être son premier roman, Colson Whitehead construit un récit entremêlant le monde des affaires et la lutte raciale aux Etats-Unis. Lila Mae est la première femme noire exerçant le métier trop méconnu d’inspecteur d’ascenseurs. Un accident impromptu, pour laquelle elle est immédiatement suspectée, vient relancer le conflit ancestral entre les « empiristes », de « purs techniciens » et les « intuitionnistes », avec leur approche plus « émotive » pour assurer l’entretien des fragiles outils d’élévation. Lila Mae va devoir mener son enquête pour prouver son innocence et se rapprocher du graal de l’ascenseur parfait, la boîte noire, objet de toutes les convoitises. 


    Teinté d’humour cynique, profondément métaphorique, un roman qui flirt aux frontières du polar, de la science-fiction et de la fable sociale.


    Albin Michel- 22.90 euros

  • M, les derniers jours de l’Europe – Antonio SCURATI

    Le troisième tome de la série M d’Antonio Scurati couvre la période de mai 1938 au 10 juin 1939, date à laquelle l’Italie a déclaré a guerre à la France et au Royaume-Uni. Entre ces deux dates, Mussolini va mettre en place les pires lois contre les juifs, encore plus extrêmes que celles prônées par l’Allemagne nazie, et va surtout tenter de garder la face devant la communauté internationale. Tour à tour chantre de la paix à Munich tout en jouant le belliciste revenu à la maison, le compte n’y est pas. Malgré vingt années de fascisme, l’Italie n’est pas prête à affronter un conflit mondial. Mis à part le succès obtenu en Ethiopie, en termes de capacité, le pays reste une petite nation au niveau de l’armement et des ressources. Le propre gendre de Mussolini joue ainsi l’acrobate dans les relations internationales pour que la comédie de son maître perdure. Mais Hitler, qui était considéré au début des années 30 comme l’élève du Duce a amplement dépassé son maître en termes de tromperie, de manipulation, d’horreur surtout. Mussolini ne peut que suivre le mouvement, contraint et forcé par sa propre folie des grandeurs et son amour propre hypertrophiée.


    Avant dernier tome de la fresque historique initiée en 2020, celui-ci se déroule sur une période beaucoup plus restreinte, une seule année, mais aux effets destructeurs. Toujours avec le même mode opératoire, l’auteur alterne les passages romancés et les témoignages documentés en fin de chapitre, recontextualisant ce qui vient d’être restitué en s’appuyant sur les journaux intimes des protagonistes ou des extraits des articles de presse de l’époque. 

    Il sera beaucoup question dans ce tome de Mussolini et Hitler et bien entendu de leur entourage. Beaucoup moins du peuple que l’on aperçoit seulement au détour d’un grand discours ou d’une manifestation organisée par le Duce et ses sbires. A l’issue de l’ultime déclaration de Mussolini, entraînant l’Italie dans la seconde guerre mondiale, « tout le monde rentre chez soi avec ses pensées. Ne reste qu’une seule et grande passion : la peur ».


    Les Arènes – 24.90 euros

  • Croix de cendre – Antoine SÉNANQUE

    Deux frères dominicains, Antonin et Robert, sont envoyés en mission par leur prieur, Guillaume. Nous sommes en 1367, dans le Languedoc, au monastère de Verfeil, et Guillaume souhaite mettre par écrit ses mémoires. Pour cela il exige un vélin d’une extrême qualité pour recueillir un contenu des plus précieux. Car le prieur, quelques années auparavant, a été le compagnon de route d’un personnage controversé et dangereux pour l’Eglise : Maître Eckhart. Ce théologien et philosophe allemand a en effet développé des concepts peu en rapport avec les courant dominant (le Libre Esprit par exemple consistant à se débarrasser du superflu, ce qui ne sied par vraiment au pouvoir religieux…) et, avant de disparaître, c’est Guillaume qui a été le témoin le plus proche de ses derniers développements théologiques. Lors de leur périple Antonin et Robert vont faire la connaissance d’un terrifiant et ambitieux inquisiteur, revanchard et prêt à tout pour que les précieux souvenirs de Guillaume puissent servir à ses aspirations de grandeur ; à titre personnel bien sûr mais aussi pour la Sainte Inquisition qu’il trouve insuffisamment reconnue. L’un des deux frères va pourtant expérimenter le talent de cette dernière à influer lorsqu’il est question de changer le cours de l’Histoire.


    Antoine Sénanque mêle personnages historiques et fictionnels dans son ouvrage qui navigue entre polar et roman d’aventure. Les passages évoquant la théologie ou la peste noire sont étayés sans pour autant venir surcharger le récit. L’auteur dépeint un monde instable, ébranlé par la maladie qui a touché l’Eglise dans sa prédominance. Des mouvements contestataires, alternatifs viennent remettre en cause sa toute puissance et même la Sainte Inquisition et son triste cortège d’exécutions et de châtiments odieux ne semble plus pouvoir tout endiguer.


    Croix de cendre est un roman avec une assise historique solide, des personnages charismatiques. Il s’agit d’une virée dans les derniers soubresauts d’un Moyen-Age en fin de course. Apparaissent alors les premiers glissements inéluctables vers la Renaissance, période pendant laquelle les idées, les sciences, la médecine prendront le dessus sur l’obscurantisme et un certain immobilisme défendue bec et ongle par l’Eglise et dont le siècle des lumières viendra parachever la lente agonie.


    Grasset – 22.50 euros.


  • Le grand feu - Léonor DE RECONDO

    En 1699, naît à Venise une petite fille, Ilaria, que sa mère destine à devenir chanteuse: elle est confiée, nourrisson, à la Piéta de Venise qui recueille les bébés abandonnés, les filles uniquement, les sauvant de la mort et de la prostitution. Dans cette institution, on enseigne la musique au plus haut niveau et les Vénitiens sont nombreux à venir écouter les concerts donnés dans l'église. Les jeunes filles sont cachées derrière des panneaux de moucharabieh, interprétant des pièces composées exclusivement pour ces occasions: on venait écouter la voix des anges.


    Ilaria va grandir dans cet univers clos et rigoureux, où les signes d'affection sont exclus, ne rendant visite à ses parents qu'une fois par an pour Noël.

    Alors qu'elle admire la merveileuse voix de Maria et rêve de lui ressembler et peut être même de prendre sa relève, maestro Antonio (Vivaldi) place dans ses mains un petit violon: trop jeune pour les cours de chant, Ilaria va apprendre à faire chanter la voix de cet instrument qui va devenir un prolongement d'elle-même. Cet éveil musical souffle comme un vent de liberté sur la petite fille qui devine inconsciemment que ce violon est une porte de sortie, pour son esprit qui s'envole avec la musique, et pour sa personne toute entière car c'est grâce à lui qu'elle va pouvoir sortir du couvent pour des concerts privés.


    Elle devient la copiste des partitions de Vivaldi qui lui confie peu à peu des compositions secondaires. L'amitié qu'elle noue avec Prudenzia lui permet de surmonter les épreuves de l'adolescence. Grâce aux sorties organisées par la famille de Prudenzia, elle va rencontrer un jeune homme, le frère aîné de son ami, et l'amour qui va naître entre ces deux adolescents l'entraîne avec sa musique hors des murs de l'institution. Certes ces murs l'ont protégée mais en grandissant, ils l'enferment. Dans le coeur d'Ilaria, se mélangent le désir et la musique, les sentiments se confondent entre amour et envolées de notes.


    Léonor de Récondo est  violoniste et ce roman rend hommage à la musique et à la force des émotions que procure la pratique de cet instrument, une pratique exigente autant que celle de l'écriture. Tout le texte est empreint d'une musicalité remarquable et nous plonge dans la Venise de l'époque, sons, couleurs, odeurs, sensations... Un très beau roman.


    Grasset - 19.50 euros

  • La maison vénéneuse – Raphaël ZAMOCHNIKOFF

    Artie ne se sent pas bien dans sa maison. Pire, parfois il a l’impression qu’une entité l’étouffe, le surveille. Situé dans un petit village, il ne parvient pas à expliquer ce qui se passe dans une bâtisse réalisée par son propre père architecte. Agé d’une dizaine d’années, il y vit donc avec ses deux parents et son frère Franck, un peu plus âgé. Il partage ses angoisses avec ses amis d’école et plus particulièrement Anna, de deux ans sa cadette, avec qui il parvient à s’ouvrir, à exprimer ses angoisses. Mais Anna va rentrée au lycée et leurs rapports prendront forcément une autre tournure. Franck lui aussi semble avoir eu maille à partir avec la maison, mais de par son caractère fonceur, en pleine adolescence, se rapprochant bientôt de la majorité, il ne paraît pas aussi bouleversé que son cadet. On pourrait donc penser qu’Artie somatise jusqu’au moment où un incident intriguant va toucher un de ses proches…


    On ne peut pas vraiment qualifier « La maison vénéneuse » de roman horrifique bien que le sujet et le titre fassent penser aux grands livres de Stephen King. Il sera surtout question de secrets enfouis, appréhendés par un enfant de dix ans, et de toute la difficulté de grandir et de comprendre les interactions entre les personnes et leurs sensibilités propres. On découvre une famille type des années 80, période pendant laquelle se déroule le récit, qui a la structure et la situation paraissant des plus normales mais qui est en fait une illusion : les belles histoires que chacun souhaite raconter aux autres et celles qu’on préfère oublier. La maison, en tant que sujet maléfique ne serait-elle pas plutôt l’expression de tout ce qui se cache, tous les non-dits qui viennent nourrir l’imagination et le mal être d’un individu en pleine construction ? Finalement, le symbole même de la quiétude et de la protection familiale comme ennemie désignée ou tout du moins ressentie comme telle. 


    Une lecture intrigante sur le déni, la peur de grandir et sur les silences qui laissent l’imagination galoper. Mais peut être aussi d’une maison véritablement diabolique…


    Belfond – 22 euros.

  • William - Stéphanie HOCHET

    Vous reprendrez bien un peu de Shakespeare? A l'instar de Maggie O'Farrell avec son inoubliable "Hamnet", Stéphanie Hochet se projette dans ces années "perdues", de 1585 à 1592, sept années contre lesquelles butent les biographes du grand tragédien. 


    Si l'autrice irlandaise s'était centrée sur le personnage d'Hamnet, un des enfants du couple Anne/William, durant ces années difficiles que la peste n'aura pas épargné, l'autrice de ce nouveau roman aborde le personnage sous l'angle de la fuite comme terreau de la création artistique. Et il va beaucoup fuir ce jeune, très jeune homme, trop jeune père, rongé par la fièvre de l'écriture et le jeu sur les  planches. Il va faire des rencontres déterminantes avec des acteurs de renom qui vont le former et lui inspirer ses histoires.


    Là où le livre de Stéphanie Hochet est remarquable, c'est qu'elle fait appel à son propre besoin de fuir pour pouvoir écrire; elle éclaire ainsi d'un jour nouveau ces quelques années pendant lesquelles William a disparu, puisant peut-être dans cette disparition, la force de créer; un élan qui ne lui serait certainement jamais venu s'il était resté sagement à Stratford: sept années pour devenir Shakespeare.


    Rivages - 19 euros

  • Le grand secours – Thomas B REVERDY

    Un matin d’hiver à Bondy. Mo, un jeune lycéen assiste à une altercation entre un autre élève de son établissement et un adulte pour ce qui semble une histoire de cigarette et de propos racistes. L’adulte prend rapidement l’avantage sur l’adolescent. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque Mo parvient à prendre en photo l’agresseur au moment où il monte dans un bus. L’identité de ce dernier ne peut rester cachée à l’heure des réseaux sociaux et des téléphone portables et il ne faut pas longtemps pour que des braises s’enflamment. En parallèle, Candice, un professeur de français à poigne, respectée par les élèves (elle ne peut pas supporter l’expression « ses » élèves) essaie tant bien que mal de leur donner envie de s’ouvrir à la magie des mots. Surtout elle souhaite les faire s’exprimer par écrit sur leur quotidien, eux qui n’ont pour horizon que l’autoroute A3 et la zone industrielle attenante au lycée ou même le Darty ne trouve plus beaucoup de clients. Pour cela, elle va faire appel à Paul, un écrivain en galère, qu’elle fait venir pour animer un atelier d’écriture susceptible de donner des idées à des élèves qui ont plus l’habitude de « scroller » sur leurs écrans plutôt que de prendre un stylo et une page blanche.


    Thomas B Reverdy dépeint un lycée de banlieue des années 2020 : des professeurs démotivés ou apeurés et pourtant certains encore motivés à vouloir faire bouger les choses et à se battre contre leur hiérarchie et les décisions arbitraires. Un constat aussi sur les conditions matérielles déplorables lorsque les élèves doivent vivre dans un établissement dont les travaux qui devaient être provisoires s’éternisent dans le temps. Le livre est découpé en fonction des heures de la journée ce qui donne un rythme dynamique au récit. Le grand secours du titre est peut-être l’espoir qu’il peut encore exister de pouvoir verbaliser et s’exprimer sur ses attentes, ses rêves même si ces derniers semblent inatteignables plutôt que de se cantonner à la violence et au ressentiment. 


    Une photographie de l’époque qui aborde l’extrême sensibilité d’un sujet pourtant majeur : l’éducation pour inculquer les valeurs du vivre ensemble. Ce qui parait bien difficile.


    Flammarion – 21.50 euros.


  • Western - Maria POURCHET

    "J'entends par western un endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision". Nous ne sommes pas dans les plaines de l'Ouest américain mais bien en France, de nos jours, point de règlement de comptes à coups de pistolets mais une métaphore de l'amour post #MeToo.


    C'est la rencontre improbable entre Alexis Zagner, comédien qui a trop joué de son charme auprès de ses admiratrices et Aurore, femme en questionnement qui a quitté Paris et ses tracas et qui tente de trouver un nouveau sens à sa vie.

    Alexis est l'archétype du cow-boy viril mais qui, sentant le vent tourner, quitte lui aussi la ville et part en cavale à la recherche de la rédemption. Aurore est cette femme qui sert et ressert le café dans une maison perdue dans les Causses, qui le retient, le séduit, cherche à percer son secret au risque de dévoiler les siens. La tempête médiatique se déchaîne contre l'acteur tandis qu'Aurore engage un combat contre ses propres démons, provoquant un duel impudique entre les deux personnages.


    Un roman porté par une écriture somptueuse qui nous pousse à la réflexion sur notre époque, ses relations compliquées, ses rapports amoureux incompréhensibles, ses violences et ses faiblesses. Maria Pourchet confirme une fois encore son talent à mettre en scène des personnages dont elle transcende les vies banales, à la limite de l'ennui, en un jaillissement de mots, de description de sentiments: le western ici, c'est aussi le voyage intérieur pour repousser ses propres frontières.


    Stock - 23.90 euros (parution 23/08/2023)

  • Quand on eut mangé le dernier chien - Justine NIOGRET

    Expédition Aurora, Antarctique 1912. Récit d'une expédition scientifique menée par trois hommes où rien ne se passera comme prévu, l'imprévisible sous ces latitudes étant la règle.


    Tempêtes, températures extrèmes, crevasses, auront raison de l'équipée. Comme un décompte funèbre, les pertes successives de leurs chiens rythment le récit. Ces chiens de traineaux sont le fil ténu qui les maintient en vie et en humanité.


    Qu'adviendra-t-il, quand par nécessité vitale, les hommes seront contraints à s'en nourrir et quand ils auront mangé le dernier chien?


    Au Diable Vauvert - 19 euros (parution le 24/08/2023)

  • Lapvona – Ottessa MOSHFEGH

    Après le succès de son roman « Mon année de repos et de détente » publié en 2019, l’écrivaine américaine Ottessa Moshfegh nous propose un des titres de la rentrée littéraire des plus original. Dans un monde médiéval non localisé ni vraiment temporalisé, Jude, un berger vit avec son fils difforme Marek au pied du domaine de leur souverain Villiam, qui assure le rôle de protecteur pour la population de Lapvona, la localité où ils vivent. Sa mère disparue, Marek trouve du réconfort auprès de la nourrice Ina, une vieille guérisseuse aveugle, aux méthodes particulières qui communique avec les oiseaux (…) et qui a participé à la mise au monde d’une bonne partie de la population locale. C’est alors qu’une escapade de Marek, dans les hauteurs du village, va lui donner l’occasion de rencontrer Jacob, le fils de Villiam et l’entrainer dans un tourbillon auquel il ne pouvait guère s’attendre. 


    Lapvona est un roman particulier : mi-fable, mi- conte, les différents personnages issus de l’imagination galopante d’Ottessa Moshfegh vivent pour le moins des aventures intrigantes. Des situations surprenantes, imprévisibles qui s’enchaînent de manière brutale (la mort rode souvent du côté de Lapvona) mais qui paraissent tout à fait normales pour la galerie de protagonistes dont le sens moral et la capacité de bouleversement semble fortement émoussés. Une chose est certaine, la cupidité, l’hédonisme, le ressentiment, la frustration font partie du canevas concocté par l’auteure. C’est aussi l’absence de toute empathie de la majorité des personnages qui frappe, comme une allégorie sur l’indifférence, chaque individu vivant dans sa bulle, sans se soucier vraiment de ses actes et surtout de son « prochain ».


    Un titre assurément différent, dérangeant, malaisant, mais qui tant à prouver qu’il est encore possible d’écrire des romans curieux dans la forme et la construction, où la liberté d’interprétation laissée au lecteur l’emporte sur la facilité de tout vouloir expliquer.  


    Fayard – 22 euros (parution le 23/08/2023)

  • Tout part à la nuit – Louis CABARET

    La vie de famille de Tiffanie est brisée. Depuis que son mari est en prison, elle doit assurer les charges du foyer tout en canalisant ses deux enfants, Joris âgé de 7 ans et Chris, son ainé de 15 ans. C’est surtout avec ce dernier qu’elle éprouve le plus de difficultés, que ce soit par son comportement à l’école et surtout du fait d’une violence (physique et verbale) qu’il ne parvient pas à maîtriser. C’est lors d’une de ses rares sorties que Tiffanie fait alors la rencontre de Marvin : enfin une véritable bouffée d’oxygène pour la mère de famille. Une respiration puis une épaule espère-t-elle sur laquelle s’appuyer au quotidien. Marvin se heurte tout de même à une certaine réticence des deux enfants et son intégration dans le foyer déstructurée n’est pas des plus aisé. Petit à petit cependant, il parvient à se faire une place, de partie de pêche en moments de complicité rendus de plus en plus naturels. Cependant, le doute persiste quant aux bons sentiments développés par le nouveau venu, notamment dans le regard de Joris, pour qui ce nouveau papa, qui prétend ne surtout pas vouloir le devenir, semble surjouer la perfection.


    « Tout part à la nuit » est le premier roman de Louis Cabaret qui a puisé dans son expérience de travailleur social avec des enfants souffrant de troubles du comportement pour exprimer avec réalisme les scènes de tension entre des adultes et des enfants perdus dans leurs rapports familiaux. Le roman aborde aussi avec tact le thème de la parentalité en prison avec des scènes de rencontres rendue douloureuses du fait de l’éloignement et des difficultés à recréer des contacts entre de quasi-inconnus. 


    Ce court roman est une bonne surprise, ne tombant ni dans le misérabilisme ni dans le larmoyant pour exposer une famille aux liens distendus, détruits, qui compte sur une « bonne personne » pour essayer de reprendre pied. Tout ne peut que s’arranger puisque Marvin a fait son apparition. Ou peut-être pas. 


    Liana Levi – 19 euros (parution le 24/08/2023)

  • Le chant des innocents – Piergiorgio PULIXI

    Un meurtre d’enfant est toujours choquant, traumatisant. Et ce même pour un professionnel expérimenté comme l’est le commissaire Strega. Bien qu’étant pour l’instant suspendu par sa hiérarchie pour un « accident », son ancienne collègue enquêtrice Teresa Brusca ne peut se passer de lui demander ses conseils avisés dans l’investigation dont elle a la charge en son absence. Car la multiplication des drames s’enchaine avec le même mode opératoire : les victimes sont retrouvées sur les scènes de crime avec leurs bourreaux. Mais pas n’importe quels tueurs : d’autres enfants, habités par une haine et une détermination paraissant sans faille et sans aucun remords. Devant le nombre d’exécutions, les autorités s’interrogent : effet de mimétisme ? liens existants entre les victimes et leurs assassins ? Strega, qui n’est pourtant pas au mieux, professionnellement ou personnellement, va malgré les embûches de sa situation s’impliquer dans l’enquête et essayer d’expliciter cette soudaine épidémie meurtrière.


    Piergiorgio Pulixi, l’auteur Sarde à qui nous devons déjà deux romans, « L’illusion du mal » et « L’île au diable », publiés chez Gallmeister, nous dévoile cette première enquête du commissaire Vito Strega sous forme d’une histoire policière des plus classique : un personnage principal torturé et à contre-courant mais tellement efficace que sa hiérarchie ne peut que fermer les yeux devant ses errements. Il s’agit surtout dans cette première affaire de semer les prémices d’intrigues qui nous donneront certainement la chance de retrouver très rapidement le nouveau policier charismatique « prisonnier d’un besoin inassouvi de justice et prêt à tout pour apaiser en lui le chant assourdissant des victimes ».


    Comme l’indique l’éditeur, un « page turner » efficace et implacable qui joue avec les nerfs du lecteur et interroge les notions de bien et mal.


    Gallmeister – 23.80 euros (parution le 17/08/2023)

  • Un très honnête bandit – Antoine ALBERTINI

    Nous sommes en Corse à la fin du XIXème siècle. Tout débute par la mort d’un chien. Apparemment ce dernier n’a pas succombé de manière naturelle, mais plutôt de la main d’un homme. L’animal appartenait à la famille Tafani. En corse, il existe un dicton « chi tomba u ghjacasu, tomba l’omu » : qui tue le chien tue son maître. Et du fait des antécédents, les soupçons se portent tout de suite sur la famille Rocchini. Depuis des années, les sources de conflits et de tension entre les républicains Rocchini et les bonapartistes Tafani ne manquent pas. Mais jusqu’à présent, c’était l’indifférence, teintée de méfiance, qui donnaient un semblant de normalité à leurs rapports. Mais l’occasion étant bonne, l’implacable machinerie se met en route : une première exécution, puis une autre et un homme se révèle : Xavier Rocchini. Il va devenir une figure locale, puis nationale, un bandit qui va au fur et à mesure créer sa propre renommée, au point d’être surnommé l’ »animali »( la bête sauvage). Mais en 1882 débarque sur l’ile de beauté Victor Franchi, un gendarme singulier, bègue, peu expressif voire taciturne qui va devenir pourtant l’un des plus grands traqueur de bandits corses.


    Tiré d’une histoire vraie (seul le personnage de Victor Franchi semble romancé), Antoine Albertini nous précipite dans cette Corse hostile du XIXème siècle, un territoire où les règlements de compte sont légion, les rancœurs tenaces et où on ne fait que moyennement confiance à la Justice des tribunaux. L’auteur dépeint donc un quotidien fait de silence, de ruminations, de vieilles querelles qui réapparaissent alors qu’on les pensait oubliées, d’habitant apeurés, de forces de l’ordre démunies. Il faut dire que la terre Corse se prête très bien aux disparitions, à la vie cachée au sein du maquis, le temps que les choses se tassent. Et qu’elles puissent reprendre de plus belle. 


    L’auteur insiste également sur le folklore Corse, la façon dont se développés les clichés sur l’île, contextualisés grâce à des chapitres indépendants du cheminement de son roman, ces histoires que la Corse perpétue elle-même pour créer et faire vivre sa propre légende. Antoine Albertini, dans ses remerciements, salue la mémoire d’un vieux berger qui n’a pas voulu le rencontrer pour lui parler des origines de la vendetta entre les Tafani et les Rocchini, parceque 135 ans après les faits, « cette histoire, par ici, c’est encore un peu chaud »…faut-il préciser que l’auteur est lui-même d’origine Corse ?


    JC Lattès – 21.90 euros (parution le 23/08/2023)


  • La contrée obscure - David VANN

    Hernando de Soto est un conquistador espagnol du XVIème siècle. Il participe à la conquête de l’Amérique centrale et aussi, aux côtés de Pizzaro, aux épopées en Amérique du sud au début des années 1530. Son parcours d’explorateur et ses réussites l’amènent alors en 1539 à entreprendre une des premières expéditions coloniales espagnole en Amérique du Nord où il traverse une bonne partie du sud-est des Etats-Unis avec comme point de départ « La Florida ». Au-delà de la découverte de nouveaux horizons, il a surtout une seule chose en tête : L’OR. 


    C’est ce passage de l’histoire auquel se consacre le dernier roman de David Vann qui reste très fidèle aux évènements historiques quant à l’avancée heurtée de de Soto et de ses compagnons. Outre le conquistador, il développe le personnage (ayant lui aussi existé) de Juan Ortiz, un jeune espagnol capturé et torturé par une tribu amérindienne lors d’une précédente expédition et qui va jouer un rôle central en tant qu’interprète, lors des souvent sanglantes rencontres entre les collons et les autochtones. Il essaiera plus d’une fois de canaliser de Soto mais souvent en vain. Car il va être souvent question dans ce roman d’échanges brutaux, de fourberies, de tromperies prodiguées par des conquistadors espagnols découvrant une faune, une flore, des cultures jusque là inconnues. Et dont l’aspect culturel et bien le dernier des soucis en comparaison de leur appétit de nourriture, de femmes et d’or. 


    David Vann a choisi d’alterner son récit historique avec des phases plus oniriques, dans lesquelles nous ferons connaissance avec l’Enfant Sauvage et tout un univers issu du mythe de la création Cherokee qui imagine notre monde comme une ile flottant dans une mer et retenue par quatre cordes (comme les points cardinaux) avec le risque qu’elles se coupent un jour provoquant la disparition de la Terre.


    David Vann remonte le temps pour relater les premiers contacts rugueux entre les conquistadors et les Cherokee et rend ainsi hommage à ses ancêtres, comme il le notifie à la fin du roman. Son dernier ouvrage se démarque par sa violence et sa crudité et des scènes souvent peu soutenables émanant d’hommes obnubilés par l’or et la gloire, éternels insatisfaits, semant la désolation et la terreur. 


    Gallmeister – 25.50 euros (parution 17/08/2023)


  • Paradise, Nevada – Dario DIOFEBI

    Dans la grande majorité, les romans se déroulant dans l’environnement d’un casino, qui plus est à Las Vegas, abordent la mafia ou bien une sombre histoire de braquage ou de cambriolage. Dario Diofebi lui s’est approprié le cadre de la ville du Nevada pour se consacrer aux vies des personnes qui y jouent, y travaillent, ou tout simplement gravitent autour des temples du jeu et de la démesure. Son lieu d’étude (fictif) est donc le casino de (grand) luxe Paradise, un espace dédié 24h sur 24 et 7 jours sur 7 au jeu, à la dépense, un univers parallèle au quotidien du commun des mortels. Ses personnages ont en commun de ne plus trop savoir où ils se trouvent eux-mêmes dans leur propre vie. On découvre ainsi Ray, un ancien joueur de poker en ligne qui fuit à la fois sa famille et sa précédente carrière et pense pouvoir se refaire une santé dans une véritable salle de jeu, en continuant à considérer les mathématiques comme couteau suisse capable de solutionner toutes les problématiques de l’existence. Il y a aussi Mary Ann, une ancienne mannequin ayant à peine franchi la vingtaine et déjà épuisée par sa propre image et celle qu’elle souhaite proposer aux autres, qui va vouloir tracer sa propre voie en intégrant le personnel du casino. Autre profil, Tommaso, un italien fraîchement débarqué de Rome après avoir remporté un tournoi local, qui vit dans l’ombre de son frère à qui tout semble réussir et qui veut devenir le fameux homme « alpha » dont on parle dans les médias, celui qui ne doute pas et sait s’imposer. Enfin, quelques mots sur Lindsay qui rêve de succès littéraires sur la Côte Ouest et qui résiste jusque là à profiter de ses (bonnes) relations pour parvenir à faire son trou dans le milieu. Mais jusqu’à quand ? Et bien entendu, au-delà de ces personnages centraux, d’autres qui le sont tout autant : ceux qui font tourner la machine à rêves, qui ont bien du mal à se faire entendre lorsqu’il est question de reconnaissance, d’obsolescence programmée pour une femme lorsqu’elle a passé la trentaine et qui voient l’IA s’approcher dangereusement et venir empiéter sur leurs métiers demain.


    Dario Diofebi connaît bien son sujet lui qui est né à Rome (comme Tommaso), est devenu professionnel dans le poker en ligne (comme Ray) et qui s’est installé aux Etats-Unis pour suive un programme à la New York University pour se consacrer à l’écriture (comme Lindsay). Au-delà de ces points communs, il a su mettre en avant un jeu complet de profils et de personnalités attachantes que l’on suit avec entrain. Il parvient également parfaitement à restituer le côté 100% factice de Vice City, Las Vegas comme le parangon de l’imitation (on y trouve aussi bien la tour Eiffel en format réduit que des jardins de la côte italienne), de l’excès et du non-sens écologique (doit-on vraiment aborder le sujet de l’exploitation de l’eau ?). 


    Ce premier roman nous plonge dans un huis-clos, dans ce monde à part de Las Vegas, un milieu interlope légendaire car il est bien connu que « ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas ».  C’est aussi un roman sur l’Amérique, qui essaie toujours de vendre ses rêves avec des moyens quasiment illimités mais qui fait également tout pour cacher les revers de fortune qui peuvent l’être tout autant.


    Albin Michel – 23.90 euros (parution le 23/08/2023)

  • Perspective(s) – Laurent BINET

    Laurent Binet s’immisce de nouveau dans l’Histoire, après HHhH et Civilizations, pour son nouveau roman Perspective(s). Cette fois, c’est à Florence et durant l’année 1557, avec le peintre Pontormo qui est retrouvé mort devant la fresque sur laquelle il œuvrait au sein de l’église de San Lorenzo, missionné par Cosimo De Médicis, duc de la Ville. Son décès pourrait être envisagé sous l’angle de suicide tant la tâche semblait peser sur les épaules de l’artiste, mais le fait qu’il ait été retrouvé frappé à la tête et poignardé laisse à penser qu’une raison plus sombre peut entourer sa disparition. Dans la foulée, la famille Médicis et plus précisément la fille du Duc Maria, se retrouve malgré elle dans la tourmente, potentiellement exposée à la vue de tous dans une posture scabreuse sur une peinture retrouvée à l’occasion de la mort de Pontormo, représentation qui pourrait nuire à la bonne réputation de la famille, qui plus est dans l’optique d’un mariage stratégique. Alors, est-on face à un véritable suicide, ou à un meurtre perpétré sous le coup de la vengeance d’un serviteur frustré, d’un concurrent jaloux ou d’une personne haute placée soucieuse de la renommée de la famille Médicis ? Ne doit-on pas non plus exclure l’action d’une puissance extérieure ? C’est Georgio Vasari, lui-même peintre et homme de confiance des Médicis qui va devoir se charger de faire la lumière sur cette mystérieuse affaire.


    Perspective(s) est construit sous forme d’échanges de lettres entre les différents personnages historiques de l’époque autour de cette mort suspecte et pour le coup sortant tout droit de l’imagination de l’auteur. Le lecteur aura donc le privilège d’accéder à la correspondance des Médicis mais aussi d’autres illustres protagonistes tels que Michel-Ange ou Catherine de Médicis.  


    Laurent Binet se penche avec talent sur la période de la Renaissance pour y inscrire un polar historique épistolaire pertinent. Il installe rapidement ses personnages que l’on parvient facilement à identifier de par leur façon de s’exprimer, avec leur point de vue sur le crime mais aussi ce qu’ils ont à y gagner ou perdre. Dans une Europe morcelée et instable, l’art endosse plus que jamais un rôle majeur, le XVIème siècle est peut-être la période de l’Histoire qui l’a le plus utilisé à des fins éminemment politiques. Pouvoir, ambition, vengeance, ressentiments, les ingrédients sont mélangés avec adresse et dextérité pour nous embarquer. 


    Grasset – 21.50 euros (parution le 16/08/2023)

  • Okavango - Caryl FEREY

    Après l’univers glacial de « Lëd », voici le grand retour de Caryl Ferey en Afrique et plus précisément dans une réserve entre Rwanda, Namibie et Angola, un endroit où la faune africaine est protégée… en principe ! Car l’auteur dénonce dans ce polar une des plaies, parmi tant d’autres, de ce continent : le trafic d’animaux.


    Il nous entraîne dans les pas des rangers qui veillent sur des espaces immenses et qui tentent de surprendre et d’arrêter les braconniers dont les techniques de chasse se perfectionnent chaque jour davantage, recrutant des pisteurs ou des chasseurs en profitant de la misère des populations locales. Ranger, c’est le métier de Solanah Betwase qui a fait de cette lutte un engagement total ; aussi, quand le cadavre d’un jeune homme est retrouvé dans la réserve privée de Wild Bunch, elle commence une enquête dont elle est loin d’imaginer toutes les ramifications. Le propriétaire de la réserve au passé militaire inquiétant est-il réellement de son côté ? Des rumeurs courent également sur la présence du pire braconnier de la région, connu sous le nom du Scorpion.


    Un polar mais pas que ! Ce roman est aussi un hymne à la beauté de cette faune africaine si menacée et aux personnes qui vouent leurs vies à la sauver. 


    Gallimard série Noire - 21 euros - Parution le 17/08/2023

  • Trust - Hernan DIAZ

    Roman qui nous plonge dans le Wall Street de la fin du XIXème siècle jusqu'à la crise de 1929, à travers la vie d'un magnat de la finance, surdoué, Benjamin Rask.


    Benjamin Rask ou Andrew Bevel? qui est-il vraiment? Quelle relation entretenait-il avec son épouse, philanthrope et amie des arts? 


    La construction du roman est à la fois déroutante et géniale. Construit en quatre parties, les deux premières sont relativement similaires par rapport à l'histoire qui y est narrée, mais avec des variations qui interrogent le lecteur.


    Les clés de lecture commenceront à être délivrées à partir du troisième chapitre. 


    Roman exigeant et d'une grande originalité formelle.


    (Le roman a reçu le prix Pulitzer 2023).


    Editions de l'Olivier - 23.50. (Parution le 18/08/2023)

  • Chien sauvage – Pekka JUNTTI

    Les éditions Gallmeister poursuivent leur diversification éditoriale en nous proposant le premier roman d’un auteur finlandais, Pekka JUNTTI. « Chien sauvage », se passe à la fin des années 2000, et il est donc question d’un jeune homme, Samuel, dit « Samu » qui refuse le parcours tout tracé que voudrait lui voir suivre son père, à savoir travailler comme lui dans la mine locale et rejoindre chaque soir une barre HLM sans âme. Le rêve de Samu est plutôt une vie de liberté, de nature. Son idéal serait de participer à une course de chiens de traîneau, bien que cette pratique soit une pure importation nord-américaine (en Finlande, ce sont les rennes et non pas les chiens qui étaient utilisés pour traverser les étendues enneigées). Samu va alors quitter sa famille et s’orienter vers la Laponie pour aller travailler dans une ferme locale avec le secret espoir de pouvoir assouvir son rêve. L’occasion va se présenter lorsque deux chiens vont s’échapper d’un chenil et redevenir sauvages. Et deux chiens sauvages relâchés dans la nature, au milieu des élevages de rennes et en pleine saison de chasse, cela ne plait que moyennement aux locaux. Samu va tout de même s’entêter à vouloir retrouver les deux fuyards, pour le pire mais aussi le meilleur puisqu’il croisera la route de Aava. Cette jeune fille, serveuse faute de mieux, vit chez sa grand-mère et voue une haine farouche à son père. Le récit nous mènera à la fin des années 40, époque pendant laquelle d’étranges arrangements ont eu lieu sur fond de relance économique de la Patrie finlandaise qui avait beaucoup souffert de la présence Nazie sur son sol.


    Voici un récit étonnant, de par son rythme, du fait que l’auteur, tout comme les deux chiens récalcitrants, ne nous facilite pas la tâche, se plaisant à nous perdre parfois dans l’espace-temps. A ce sujet, la temporalité, exprimée en chaque tête de chapitre est primordiale pour assembler les pièces du puzzle qui nous est dévoilé à la fin du livre. Pour le reste, nous sommes face à un pur moment de natural writing, ses épisodes de pêche, de communion avec la nature et comme garde-fou cette nature prête à happer ceux qui pense pouvoir lui tenir tête.


    A noter que Pekka JUNTTI, dans sa conception de respect de ladite nature, s’attache à se déplacer en train dès qu’il le peut, y compris pour des trajets allant jusqu’à plusieurs jours. 


    Gallemeister – 24.50 euros (parution le 07 septembre 2023)

  • Par-delà l'oubli - Aurélien CRESSELY

    Le frère cadet de Léon Blum, René,  a été une figure de son temps. Moins connu que son célèbre frère, il a fait carrière dans la culture: d'abord journaliste et critique à la Revue Blanche, il est surtout un directeur artistique de casinos et de théâtres, apprécié, travailleur infatigable, il reprend notamment le théâtre de Monte Carlo et contribuera au succès des ballets russes. Il a également été celui grâce à qui Proust a fini par trouver un éditeur, relatant une querelle entre Grasset et Gallimard à propos de la Recherche du temps perdu.


    Mais en décembre 1941, il fait partie de cette rafle des notables organisée par les nazis assistés par la police française: emprisonné comme tant d'autres dans les camps de Drancy puis de Compiègne avant d'être déporté à Auschwitz alors qu'il a une soixantaine d'années. Il ne reviendra pas.


    Alternant entre les affres de la survie dans les camps et les facettes de sa vie d'avant, l'auteur brosse un portrait tout en nuances d'un homme profondément humaniste, d'un courage sans faille et pourtant miné par une vie de famille chaotique et un certain complexe d'infériorité vis à vis de son frère.


    Un premier roman qui nous fait découvrir le destin d'un homme méconnu dont l'engagement pour la France était sincère et profond.


    À lire en parallèle: "La rafle des notables" d'Anne Sinclair, texte auquel l'auteur se réfère.


    Gallimard - 18,50 euros

  • Les affreux – Jedidiah AYRES

    Parfois les titres sont sibyllins. Pour ce roman de l’auteur américain Jedidiah Ayres il n’en est rien : voici 335 pages remplies d’affreux. Souvent sales. Vraiment méchants. Une galerie d’une dizaine de personnages, un shérif, des adjoints, des petites frappes spécialisées dans les hold-up de stations-services, un gérant de magasin d’article de pêche/bar obscure avec activité de prostitution, tous doté d’une solide absence de tout scrupule. Sans aucun état d’âme, avec une haine commune pour les empêcheurs de magouiller tranquillement, cette petite communauté d’une ville du Missouri n’a pas de temps à consacrer aux remords. La drogue, la prostitution, le blanchiment d’argent c’est aussi un moyen de garder une unité et un certain calme dans la juridiction. Et c’est bien ce qu’a intégré le shérif Jimmy Mondale qui n’est pas le dernier dans tout ce qui touche à l’illégalité. Mais lorsque sa famille, à savoir sa propre fille quelque peu rebelle, se trouve mêlée aux histoires, comme le mentionne bien la quatrième de couverture, une seule chose est certaine : « bastos, cadavres et fractures ouvertes au programme »


    Il ne faut donc pas chercher de morale, de sens caché dans ce roman. Seulement apprécier un livre de 335 pages qui se lit d’une traite, dont les personnages, comme dans un chamboule-tout géant, se télescopent, s’unissent, se frappent (beaucoup), chacun dans sa logique, dans son intérêt, et qui se moque bien comme de son premier cadavre de l’impact de ses actes sur ses semblables. La loi du plus fort, et surtout du plus tordu, a toujours raison !


    Une lecture jubilatoire, l’occasion de déposer le cerveau et de se laisser entraîner par des personnages qui se permettent tout, qui osent tout (c’est paraît-il à cela qu’on reconnait une certaine catégorie de population…) dont le sens de la conservation et de la débrouillardise sont sublimés. Malgré leur pédigrée, qu’on qualifiera de « chargé », on s’attache bien vite à Terry, Chawder, au shérif Mondale, aux adjoints dans la combine, à la serveuse, aux filles acariâtres ou misanthropes, tous entraînés dans une spirale infernale revigorante. A noter que le premier roman de l’auteur s’intitulait « Les Féroces » ce qui donne une idée plus précise sur sa conception de l’humanité et de ses rapports sociaux !


    Equinox les Arènes – 20 euros

  • Eclipse totale – Jo NESBO

    Déjà treize romans au compteur avec le personnage de Harry Hole pour Jo Nesbo, et autant dire que son flic bourru, alcoolique et misanthrope n’est pas au mieux. Après les déboires qu’il a affrontés (cf les 12 romans précédents), il a quitté la Norvège pour les Etats-Unis afin d’essayer de se réapproprier sa propre vie. C’est ainsi qu’il a fait connaissance de Lucille, une actrice septuagénaire au passé glorieux. Toujours alcoolique, bien qu’essayant de lever le pied, il a bien entendu rencontré cette dernière au coin d’un zinc et Lucille n’est pas au mieux non plus, devant beaucoup à des recouvreurs de dettes mexicains. Et leur patience est proche très proche de la limite mortifère. Entraîné dans la boucle, on ne se refait pas, Hole va recevoir un coup de téléphone provenant de Norvège qui va peut-être tout arranger : l’avocat d’un éminent homme d’affaire lui demande de rentrer et de venir mener l’enquête, à titre privé, pour arriver à disculper son client des doutes émis par la police locale : deux jeunes filles ont disparu juste après une soirée festive organisé par le magna. Le fait qu’il soit considéré comme leur « sugar daddy », qu’il soit également question de drogues, potentiellement de chantage quant à des révélations qui pourraient s’avérer mauvaises pour les affaires, autant dire qu’Harry va avoir du travail. Une forte somme d’argent lui est promise, qui viendrait sortir son actrice vieillissante de l’embarras. Mais il aura seulement 10 jours et pas un de plus, pour trouver une issue sinon Lucille viendra rejoindre le rang des victimes…


    Nous retrouvons avec plaisir Harry Hole, l’inspecteur fétiche de Jo Nesbo. Un Harry très abimé, très abattu après les épreuves qu’il a dû surmonter lors de ses précédentes aventures mais n’ayant toujours pas perdu son talent lorsqu’il est question de débusquer un criminel. Au sujet du passé de Hole, Jo Nesbo parvient à nous rafraichir la mémoire, en recontextualisant son histoire tout en évitant l’effet « fiche wikipédia » des différents personnages de son passé qui reviennent dans cette histoire. Eclipse totale peut donc être lu même par un lecteur n’ayant pas encore fait connaissance avec « dirty » Harry. Les autres apprécieront de retrouver des protagonistes qu’ils ont déjà croisé. Hole saura les fédérer pour tenter de faire la lumière sur cette histoire sordide. Car oui, comme souvent chez Nesbo, l’horreur écœurante n’est jamais bien loin…


    Un très bon retour aux sources après l’épisode « Leur domaine », un roman noir qui continue d’explorer la complexité des rapports humains, l’atrocité qu’il peut en découler, dans lequel le passé, que ce soit du côté des « gentils » ou des « méchants » n’est jamais anodin…


    Série Noire Gallimard – 22 euros

  • L'épaisseur d'un cheveu -Claire BEREST

    Vive va mourir, l'autrice nous l'annonce dès les premières lignes et on connaît déjà son assassin: son mari, Etienne Lechevallier. Vive est, à l'image de son surnom, une femme pétillante, rayonnant d'une aura qui attire autour d'elle de nombreux amis. Tout le contraire d'Etienne qui mène une vie millimétrée, ne supportant aucune contrariété, aucun écart  un emploi du temps figé: vacances en Italie tous les étés, concerts de musique classique les mardis. Il travaille comme correcteur dans une maison d'édition, prenant très à coeur sa mission de relecteur, traquant les fautes, les tournures de phrases maladroites, prenant l'initiative de réécrire des paragraphes entiers, persuadé de rendre service à l'auteur, de sauver sa maison d'édition d'une faillite certaine, bref il est devenu indispensable à la littérature.


    Quand Vive annule leur sacro-sainte soirée du mardi sous un prétexte qu'il estime futile, il commence à ruminer, à ressasser les petites mesquineries de sa femme, ses habitudes de plus en plus insupportables. Ne voit-elle pas tous les efforts qu'il fait pour elle? D'accord, il n'a pas vu qu'elle avait changé de coiffure, mais elle, elle ne fait pas attention à son bien être alors qu'il s'apprête à lui révéler son grand Projet sur lequel il travaille depuis quelques temps; il va l'étonner et la rendre fière mais il faut qu'elle arrête de l'ignorer. Et si elle lui mentait?


    Claire Berest décortique la mécanique du couple dans ses derniers soubresauts et comment la folie peut gagner un esprit. Mais justement, est-ce vraiment un coup de folie ou cet homme, au patronyme si chevaleresque, préméditait-il son geste depuis plusieurs années?


    D'une écriture resserrée et oppressante Claire Berest nous propulse dans la tête d'un homme qu'on sent sombrer peu à peu, jusqu'au point de bascule. Il n'avait rien d'un assassin, elle n'avait rien d'une victime et il aurait suffi d'un détail, de l'épaisseur d'un cheveu pour que les choses se passent autrement.


    Albin Michel - 19.90 euros

  • Mary - Anne EEKHOUT

    Ce titre très sobre cache un grand destin: celui de Mary Shelley, l'autrice du célèbre Frankenstein. Anne Eekhout revient sur ces années déterminantes qu'ont été l'adolescence puis sa vie de jeune femme mariée. Elle évoque en fait deux séjours qui ont semble-t-il, marqué l'esprit déjà débordant d'imagination de la jeune fille.


    Orpheline de mère, élevée à Londres par son père, philosophe, et par une belle-mère un peu folle, avec sa demie-soeur au caractère chagrin, on l'envoit en cure pour une maladie de peau en Ecosse chez des amis. Elle a une quinzaine d'années et dans cette maison très accueillante où l'on passe les soirées devant la cheminée à se raconter des histoires inquiétantes, elle rencontre Isabella, jeune fille instable mais dont l'imagination n'est pas en reste. Elles se promènent dans les landes torturées cherchant à percer les mystères des anciennes légendes, dénichant des monstres aux bords des lacs. Un homme au comportement d'autant plus troublant qu'il s'agit du beau-frère d'Isabella, semble cacher de bien étranges expériences dans son laboratoire. Les deux amies se promettent de percer à jour cet homme mystérieux alors que les événements de plus en plus étranges s'accumulent jusqu'à une tragédie qui bouleversera le cours des choses... à moins justement qu'elles ne retrouvent un cours normal.


    Quatre ans plus tard, Mary séjourne en Suisse avec son mari Percy Shelley, poète, sa demie-soeur ainsi que Lord Byron et John Polidori, médecin et écrivain, dispensant largement du laudanum dans le vin de ce groupe aux amours très libres. Le temps est à la pluie diluvienne, et chacun essaye d'écrire, ils se réunissent, lisent, se racontent des histoires effrayantes. Reviennent alors à la mémoire de Mary, ces mois passés en Ecosse, et le souvenir d'une créature entr'aperçue ou rêvée se mélangeant au désespoir de la perte de son premier enfant, une petite fille qui n'a pas vécu et que la présence de son fils, bébé bien vivant, ravive douloureusement. Dans cette ambiance gothique, où se mêlent réalité, cauchemars, rêves baignés de laudanum, hallucinations, Mary va trouver l'exutoire à ses monstres intérieurs: l'écriture.


    Ce roman sensuel nous plonge dans le bouillonnement d'un esprit à l'imagination sans limite, "portrait d'une jeune fille en feu", qui fait tour à tour, l'expérience de l'amour et de la perte.


    Gallimard - 24 euros (parution le 07/09/2023)

  • La Sentence - Louise ERDRICH

    La sentence, c'est celle qui a été prononcée contre Tookie, jeune femme d'origine amérindienne: elle aurait dû passer 60 ans en prison pour trafic de cadavre et de drogue, manipulée par une "amie". Les livres deviennent son refuge. Quand elle bénéficie quelques années plus tard d'une libération conditionnelle, elle met à profit cette culture acquise au fil de ses lectures et ose pousser la porte d'une petite librairie de Minneapolis, la librairie de Louise, qui propose un fonds de littérature autochtone. Sa vie se stabilise et s'écoule paisiblement. C'est juste après la mort d'une fidèle cliente, d'aucun dirait envahissante, passionnée de culture amérindienne au point de s'imaginer une grand-mère indienne, que l'histoire s'emballe, aux Etats-unis et dans le monde entier. 


    C'est d'abord une histoire de fantôme, celui de Flora, cette fameuse cliente qui vient hanter la librairie et bousculer les certitudes de Tookie. Puis c'est une pandémie qui met le monde à genoux alors que la ville était encore à feu et à sang suite à l'assassinat de George Floyd.


    Louise Erdrich aime les livres et les librairies: elle connaît les tourments des libraires quand ils doivent porter le costume de gestionnaire, mais elle connaît également leurs joies et cet engagement quotidien voué à la littérature: quand elle décrit les sentiments de ses personnages quand les librairies sont devenues commerces essentiels, il faut l'avoir vécu de l'intérieur. Et c'est avec tout son talent de conteuse qu'elle nous régale avec ce grand roman qui nous parle de fantômes bien plus dangereux que ceux qui hantent l'Amérique toute entière et se nomment racisme et intolérance.


    (Attention, les listes de conseils de livres vont vous faire retourner dans votre librairie favorite pour les trouver de toute urgence! :-) )


    Albin Michel - 23.90 euros (parution le 06/09/2023)

  • Les insolents – Ann SCOTT

    Alex, l’héroïne principale du nouveau roman de Ann Scott a réalisé ce que tout bon parisien envisage un jour ou l’autre : partir s’installer au milieu de nulle part, et en l’occurrence ici le Finistère. Déçue par ses relations qui ne la mène nulle part (que ce soit avec les femmes et hommes avec qui elle partage « ses morceaux de vie »), pouvant matériellement se le permettre (musicienne, elle compose notamment des bande-originales pour des grosses productions cinématographiques), un univers aventureux et intriguant s’offre à elle : faire ses courses lorsqu’on ne possède pas de voiture et que le premier supermarché est à plus de 7 kms, découvrir les plages isolées et la solitude également lorsque le voisinage reste un concept inconnu. Partir loin, c’est aussi et surtout se couper de ses proches et voir apparaître petit à petit une fêlure, puis un gouffre dans les rapports avec ceux dont on partageait le quotidien. En parallèle, il sera aussi question de Léo, un jeune trentenaire qui contrairement au choix d’Alex, va voir son quotidien bouleversé et remis en question, à l’aube d’un avenir prometteur, lors d’une violente rencontre dans une ruelle sombre. Une autre forme de solitude, lorsqu’on ne comprend plus son environnement et inversement.


    Les insolents est un roman qui aborde l’introspection, le recentrage sur soi-même et surf (avec talent) sur les sentiments développés par une partie de la population à l’issue de l’épidémie de COVID du début des années 2020 (qui sera abordé dans le dernier tiers du roman). Ann Scott nous invite à partager les saisons de cette parisienne déracinée, qui réalise un constat sévère mais argumenté sur l’état d’une société qui accorde « trois millions de ‘likes’ quand Timothée Chalamet post un gobelet de noodles à moitié vide » sur un réseau social. Elle aborde aussi la place de l’art et de la culture comme refuge de plus en plus précaire. 


    On pourrait alors craindre en ouvrant ce roman de se retrouver rapidement face au terrible « c’était mieux avant » mais au-delà de ce constat, certes tout de même un peu évoqué, Ann Scott laisse s’exprimer ses personnages pleins d’humanité. Plutôt de grands blessés que des donneurs de leçon patentés, des victimes plutôt que des bourreaux qui tâchent de tenir la barre coûte que coûte au sein d’une société toujours plus agressive, impatiente, clivante. 


    « Cela fait longtemps que dans les dîners, les conversations, plus personne ne se retrouve autour d’un film, d’un roman » Un constat amer mais plutôt lucide, qui nous donne un beau cadre de réflexion sur la façon dont le monde nous impacte. Et malgré tout, comment faire avec.


    Calmann Levy – 18 euros (parution le 23/08/2023)

  • Pour mourir, le monde - Yan LESPOUX

    En exergue de ce grand roman d'aventure, l'auteur cite un poème d'Antonio Vieira (1608-1697): "un lopin de terre pour naître; la Terre entière pour mourir. Pour naître, le Portugal; pour mourir, le Monde." C'est dans cet état d'esprit que les navigateurs, et pas seulement les portugais, parcourent les mers du globe. Dans cette première moitié du XVIIème siècle, la route des Indes attirent des navires, tombeaux flottants pour la plupart, de toutes nationalités, en quête de poivre, de cannelle, de tissus précieux et de marchandise humaine (entre nous soit dit, la moins précieuse de toutes). En plus de subir des conditions de navigation des plus incertaines, les affrontements entre portugais, espagnols, hollandais, anglais se soldent régulièrement par des naufrages aussi meurtriers que spectaculaires dont peu d'hommes réchappent.


    Yan Lespoux nous entraîne dans le sillage de Fernando et de son ami Simao, de Diogo et enfin de Marie dont les destins vont se trouver réunis lors d'une tempête dantesque sur la côte à hauteur de Saint Jean de Luz.

    Sur cette côte landaise, la jeune Marie s'est réfugiée auprès de son oncle pour échapper aux autorités suite à un "accident" laissant pour mort son agresseur. Le refuge devient cependant rapidement une prison, car l'oncle est un homme brutal qui régimente d'une main de fer, une petite communauté de résiniers doublés de pilleurs d'épaves.


    De l'autre côté de l'océan, au Brésil, c'est un siège qui s'organise autour de Salvador de Bahia gagnée par les Hollandais mais que les Portugais et les Espagnols espèrent bien reprendre. Diogo, un orphelin, s'engage dans la guérilla portugaise avec l'espoir de sauver sa peau et de connaître un destin plus grand que celui de ses parents.

    A Goa, Fernando, toujours au mauvais endroit, au mauvais moment, cherche à tout prix à rentrer au Portugal: engagé dans l'armée portugaise, il est prêt à tout pour changer son destin.

    Roman d'aventures au souffle épique, cette histoire puise ses racines dans le récit véridique d'un naufrage dont l'auteur a trouvé la trace sur des cartes et dans des textes du XVIIIème siècle. Une flotte de galions, de retour de Salvador de Bahia, que les espagnols et les portugais venaient de reprendre aux Hollandais, s'est abimée corps et biens lors d'une terrible tempête. Dans cette flotte se trouvaient également deux caraques (navire à voiles, de fort tonnage, très haut sur l'eau) qui revenaient d'Inde chargées de marchandises et de diamants, cadeau du sultan de Bijapur à la reine d'Espagne.


    Un roman très réussi, qui ne laisse aucun répit au lecteur en dépit de descriptions détaillées du siège de Salvador de Bahia ou des manoeuvres de navigation.


    Agullo - 23.50 euros (Parution le 24 août 2023)

  • Plan américain – Seth GREENLAND

    Paul préfère qu’on l’appelle Pablo depuis l’école. Nous sommes à la fin des années 70 à New York et ce fils d’un modeste marchand de boutons juif rêve de réussir sa vie en devenant cinéaste. Harold préfère qu’on l’appelle Jay, et surtout dans sa propre famille. Il s’agit de Jay Gladstone que nous avons déjà croisé dans le précédent roman de Seth Greenland « Mécanique de la chute » qui se déroulait 40 ans plus tard. Pour le moment, ce jeune homme issu d’un milieu aisé, rêve lui aussi de cinéma et d’émancipation. Les deux amis se retrouvent donc après que leurs chemins se soient séparés à la fin de leurs études et comptent bien rattraper le temps perdu et pourquoi pas rencontrer par la même occasion la gloire cinématographique. Mais avant cela, la route est longue : dénicher un scénario original, concocter un casting soigné et surtout parvenir à trouver un financement digne des ambitions certaines du projet. Petit à petit, leur (chef)œuvre se dessine : le film s’intitulera « Le dernier homme blanc » et abordera le sujet délicat et ambitieux de la couleur de peau. 


    Le nouveau roman de Seth Greeland aborde donc avec une certaine habilité le fait de pouvoir évoquer par un narrateur un sujet dont il n’a pas la même origine ethnique. Pablo va ainsi expérimenter toutes les difficultés d’un jeune qui ne possède que son ambition et son envie pour parvenir à percer. Jay quant à lui n’est pour l’instant que l’esquisse du magnat de l’immobilier qu’il sera par la suite, mais qui laisse déjà entrevoir de belles promesses dans sa façon de « gérer ses affaires » et dans sa capacité à nager en eaux troubles.


    « Plan américain », c’est aussi une immersion réussie dans la ville de New York au moment où cette dernière est en équilibre plus que précaire entre sa situation économique dégradée et sa position culturelle. A l’orée des année 80, la métropole de la côte Est est un véritable bouillon de culture où la musique (le punk), le théâtre et donc le cinéma, permettent encore aux jeunes de rêver de créer leur propre légende. Ou tout du moins d’essayer. 


    Liana Levi – 22 euros (parution le 07/09/2023)


  • Les aiguilles d’or – Michael MCDOWELL

    Après « l’hénaurme » succès de la série Blackwater, Monsieur Toussaint Louverture va publier sur plusieurs années cinq livres de Michael McDowell, jusqu’alors (étonnamment) restés inédits en France. Le premier s’intitule « Les aiguilles d’or » et se déroule à New York en l’an de grâce 1882. La ville est alors en plein développement mais s’avère être aussi un véritable coupe gorge, notamment le quartier appelé « le triangle noir » où les jeux, la prostitution et les meurtres font partie de la normalité quotidienne. Dans cette partie de la ville s’épanouie la famille Shanks. Ses membres sont cornaqués par Léna, une solide femme d’origine allemande, qui exerce le métier officiel de prêteuse sur gage et celui plus officieux mais tout aussi apprécié de prestataire accommodante pouvant s’occuper de la revente des objets ayant perdus de manière impromptue leur propriétaire d’origine (par voie de meurtre, vol ou autre…). Du côté des beaux quartiers, c’est James qui occupe la place de patriarche au sein de la famille Stallworth. Ce dernier est un juge aussi intraitable qu’expéditif qui souhaite éradiquer, en tant que bon Républicain, le vice provoqué par la misère et ceux qui aiment à s’y complaire. Pour cela, ses espoirs reposent beaucoup sur son gendre, Duncan Phair, une bonne marionnette qu’il souhaite aider à faire conquérir la ville et pourquoi pas faire triompher à plus ou moins long terme grâce à lui, le camps des Républicains dans une contrée qui leur est hostile. Dans les faits, Duncan va être bien malgré lui un des héros de cette histoire, le chainon manquant qui va, sans le vouloir, faciliter le rapprochement impensable entre deux familles que tout oppose. Mais pas pour le meilleur, loin de là.

    Il est incroyable que les écrits de Michael McDowell aient pu rester aussi longtemps inconnus en France tant cet auteur parvient avec malice, style et sens du rythme à transformer des histoires sommes toute classique en galerie de personnages charismatiques et inoubliables. Ainsi, Léna Shanks n’a rien à envier à Elinor de Blackwater et chaque membre des familles est facilement incarné, cerné, avec une réelle densité. On retrouve de nouveau dans « Les Aiguilles d’or » des éléments entraperçus dans Blackwater à savoir des personnages féminins très forts, une critique de la bien-pensance, de l’affairisme et de l’hypocrisie. Aucune dimension fantastique dans ce roman par contre, mais le récit d’un combat sans pitié entre le (supposé) bien et le (supposé) mal. Une lutte à mort et grâce au travail une nouvel fois remarquable sur la couverture réalisée par Monsieur Toussaint Louverture et dessinée par Pedro Oyarbide, il sera amusant d’aller y débusquer quelques indices sur l’histoire qui se cache au sein des pages de ce très bel objet littéraire. Et ensuite se laisser porter, car le moins que l’on puisse dire, c’est que l’an de grâce 1882 a été une année très chargée et très très éprouvante pour les familles Shanks/Stallworth. 

    Vivement les quatre prochaines publications.


    Toussaint Louverture – 12.90 euros (parution le 06/10/2023)

  • A ma soeur et unique - Guy BOLEY

    Qui fut Elisabeth Nietzsche Förster? La sœur du célèbre philosophe aura consacré toute sa vie, ou presque, à assister son frère. Il l'aura aimé plus que tout, au point qu'on les a souvent considérés comme un couple. Sans son soutien, sans sa

    présence, Friedrich, de santé fragile, n'aurait certainement pas pu s'adonner corps et âme à l'écriture. Mais elle aura été également celle par qui la trahison la plus impardonnable, arrive. En épousant Förster, elle adhère à l'idéologie antisémite en pleine expansion en Allemagne et le penseur n'admettra jamais qu'elle ait choisi cette voie. Pendant qu'elle accompagne son

    mari au Paraguay dans la fondation de Nueva Germania, aryenne et pure, le philosophe, marche, écrit, marche encore et écrit

    sans cesse. Jusqu'à l'épuisement et la catatonie. Revenue veuve après trois années d'exil mais persuadée qu'elle ne peut

    connaître d'autre destin que celui d'une reine, elle reprend sa place auprès de son frère qui ne peut guère protester. Il a été retiré de l'asile par sa mère: refusant le diagnostic de la folie, elle entreprend de le soigner à la maison à coup de prières, de tisanes et de chocolat Van Houten. Si Elisabeth comprend très vite que les écrits de Nietzsche vont lui permettre de gagner

    de quoi vivre (largement) et d'atteindre cette reconnaissance dont elle rêve, elle est heurtée, en bonne protestante, par les mots de son frère qui n'hésite pas à clamer que Dieu est mort. Elle va donc faire ce dont tout bon censeur est capable: elle va "arranger" les manuscrits de façon à ce qu'ils collent à ses propres convictions. Et qui, pour la blâmer ou la contredire?

    Surtout qu'elle se donne un mal fou pour récupérer le moindre billet, le moindre brouillon portant l'écriture de son frère: en cela, on peut lui reconnaître une certaine obstination qui aura permis de récolter la majeure partie de son oeuvre.


    Elle fut sa seule et unique sœur. Et seule la prose hors du commun de Guy Boley, pouvait retracer les destins de ces

    personnages: le drame qui se joue sous nos yeux prend des allures d'épopée mythologique on assiste, fascinés, à la naissance d'un mythe.


    Grasset - Parution 23/08/2023

  • De braves et honnêtes meurtriers - Ingo SCHULZE

    Norbert Paulini est un libraire spécialisé dans les livres anciens à Dresde. 

    Au moment où débute ce roman, l’Allemagne est encore séparée et Norbert semble s’épanouir dans son métier. Certes, il éprouve un peu de difficulté à se séparer des ouvrages qu’il a précieusement collecté et il se considère avant tout comme lecteur, étant capable de citer des paragraphes entiers de ses livres préférés et étant plutôt fier des trésors qu’il est parvenu à proposer à ses clients. 

    Et le temps passe. La réunification, les rencontres de la vie, vont faire évoluer Norbert Paulini. On va même découvrir petit à petit que ce profond humaniste développe des raisonnements réactionnaires, comme si l’évolution de la société qui lui est proposée avec la suppression des blocs de l’ouest et de l’est semblait profondément l’impacter. On va même commencer à voir poindre des accointances avec l’extrême droite, lui le libraire de l’est. 

    Est-ce un sentiment de trahison qui l’a terrassé, une profonde inadaptation au monde moderne, où ne serait-ce que les manipulations d’un tiers pour lui nuire et nous rendre Norbert Paulini antipathique ? 

    Le roman d’Ingo Schulze est déstabilisant.

    On est « attiré » par ce personnage de Norbert Paulini, érudit, amoureux des livres, passionné de lecture, mais au fil des pages, cet intérêt s’estompe au profit d’un sentiment de malaise. Comme si un autre personnage avait pris la place de Norbert. Ou celle de celui qui raconte son histoire.


    Un roman particulier et original, dans lequel il est plaisant de se perdre, et bien malin le lecteur qui pourra, une fois la dernière page tournée, savoir qui est vraiment Norbert Paulini. 


    Fayard – 22 euros (parution le 23/08/2023)


  • Méduse – Martine DESJARDINS

    Elle s’adresse directement au lecteur. Elle se considère elle-même comme un monstre de la pire espèce depuis sa naissance. Ce sont ses yeux qui la rendent différente. Elle ne peut pas pleurer. Elle ne peut qu’entrainer la destruction de ceux qui croisent son regard. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est vue attribuée le surnom de Méduse. Placée dans une institution « spécialisée » composée d’autres « personnes différentes », elle a été abandonnée par sa propre famille qui ne l’a jamais acceptée. Au sein de la structure, elle va découvrir une autre forme de torture en plus du sentiment d’être en marge : une fois par mois, les pensionnaires, exclusivement féminines, reçoivent la visite des bienfaiteurs, les notables de la place, et passent ainsi des nuits éprouvantes dans une aile privée de l’institution. Le lendemain, les jeunes filles ressortent avec leurs robes déchirées, les cheveux défaits et les lèvres étrangement noircies. Méduse, va elle aussi participer à ces rencontres et ses yeux lui seront d’un grand secours pour affronter le pire.


    L’autrice québécoise Martine Desjardins évoque par le biais de cette réappropriation du mythe de la gorgone, toutes les formes de pressions sociales, de jugements qui s’exercent sur l’individu pour qu’il se conforme aux règles, à la normalité pour faire partie de la société. C’est donc de différence et de sa perception dont il sera question dans ce récit qui flirte entre roman d’apprentissage, gothique mais aussi féministe. 


    L’Atalante – 15.50 euros (parution le 17/08/2023)

  • Alain Pacadis Face B - Charles SALLES

    Alain Pacadis est le fruit d’une époque, celle courant sur deux décennies, du milieu des années 1960 au mi-temps des années 80. Celui qui est devenu petit à petit un dandy dépravé, a connu tous les excès d’une période où tout semblait encore possible. Issue d’une famille modeste d’émigrés (son père était d’origine grecque, sa mère polonaise, tous deux ayant du fuir leur pays précipitamment), il a perdu ses parents jeunes et ne s’est jamais véritablement remis surtout de la disparition de sa mère, dont il a trouvé le corps après son suicide. Ainsi, au début des années 70, après s’être petit à petit installé dans le milieu du « showbiz », il est aux premières loges pour découvrir des artistes tels qu’Iggy Pop ou Nico avec qui il partagera les joies des paradis artificiels. Dans les années 80, se sentant déjà vieux alors qu’il rentre tout juste dans la trentaine, il assistera à l’avènement de « la variété » et de sa fadeur en comparaison des artistes qu’il avait pu croiser (Lou Reed et autres Rolling Stone et devant côtoyer Francis Lalanne ou Chantal Goya…) ce qui coïncidera avec la perte de son insouciance, l’émergence du SIDA venant faucher bon nombre de ses amis. Car Pacadis en plus d’un amoureux de la vie et surtout de ses excès aura aussi multiplié les conquêtes sans pour autant ne jamais se sentir rassasié.

    Alain Pacadis a été un journaliste détonnant, spécialisé pour ses compte-rendu de soirées, baignant dans les nuits parisiennes, apportant une touche « gonzo » au genre, comme pouvait le faire outre atlantique Hunter Thompson. Ses articles parus dans Libération lui apporteront la reconnaissance sans pour autant, loin de là, faire l’unanimité au sein de sa rédaction. Egérie officieuse du Palace, la célèbre boîte de nuit parisienne, le nom de Pacadis deviendra petit à petit synonyme de décadence, la drogue et les excès en tous genre le transformant en junkie peu fréquentable jusqu’à sa mort en 1986.

    Charles Salles nous livre une biographie fidèle de la vie d’Alain Pacadis, du petit garçon de la rue de Charonne jusqu’au pantin détruit des années 80. Il aborde avec tact le poids du passé et les non-dits de cet enfant d’une mère juive ayant survécu aux rafles des années 40. Pacadis était connu pour sa plume acérée et virevoltante, piquante comme ses aiguilles le menant à l’héroïne, compagne sûre pour traverser l’existence. L’auteur nous présente un être effrayé par la solitude et le sentiment d’abandon, prêt à tout pour s’en échapper. Une biographie qui se lit comme un roman tant le journaliste se prête au récit d’un personnage décadent, sans limite dans le désespoir et dont les circonstances de la mort, un soir de décembre 1986 à l’âge de 37 ans, restent encore sujettes à questionnement.


    La table Ronde – 22 euros (parution le 24/08/2023)

  • L'enragé - Sorj CHALANDON

     C'est l'auteur qui en parle le mieux: 

    «  En 1977, alors que je travaillais à Libération, j’ai lu que le Centre d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer allait être fermé. Ce mot désignait en fait une colonie pénitentiaire pour mineurs. Entre ses hauts murs, où avaient d’abord été détenus des Communards, ont été «  rééduqués  » à partir de 1880 les petits voyous des villes, les brigands des campagnes mais aussi des cancres turbulents, des gamins abandonnés et des orphelins. Les plus jeunes avaient 12 ans.

      Le soir du 27 août 1934, cinquante-six gamins se sont révoltés et ont fait le mur. Tandis que les fuyards étaient cernés par la mer, les gendarmes offraient une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Alors, les braves gens se sont mis en chasse et ont traqué les fugitifs dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés.Tous  ? Non  : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel.

      Je me suis glissé dans sa peau et c’est son histoire que je raconte. Celle d’un enfant battu qui me ressemble. La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues.  » S.C.


    Grasset - 22.50 euros - Parution 16 août

  • Pauvre folle - Chloé DELAUME

    A l'orée de la cinquantaine, Clotilde Mélisse décide de faire un voyage en train, allogeant les étapes jusqu'à Heidelberg. Ce temps suspendu lui est nécessaire pour faire le point sur sa vie et en particulier, sur ce qui l'a toujours poussée en avant: sa quête d'une histoire d'amour absolu. Elle pensait l'avoir trouvé avec Guillaume mais l'homme est complexe et se dérobe: pourquoi cherche-t-elle obstinément à obtenir de lui un engagement qu'il lui refuse? 

    C'est sa mémoire qu'elle jette sur la tablette des wagons de train comme des petits cailloux colorés qu'il va falloir, un à un, trier et étudier. Chacun est un souvenir précis: certains sont doux et d'autres sont épineux. Le plus important remonte à l'enfance, cette enfance brisée par un coup de fusil qui fera mourir sa mère alors qu'elle n'avait que 10 ans. Si le fusil, d'abord pointé vers elle a bien failli arrêter net son histoire, c'est finalement son père qui le retournera contre lui-même mettant en place un drame à jamais inscrit dans ses gènes. Depuis ce "drame conjugal", aujourd'hui qualifié de féminicide, elle est adoptée par sa tante, elle développera une adolescence aux pulsions suicidaires avant que le diagnostic de sa bipolarité ne soit posé. 

    L'autrice décortique les sentiments de Clotilde à l'aune de sa propre histoire car, on l'aura compris, Clotilde est le double de Chloé. Elle met en avant les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées depuis #MeToo dans leurs relations amoureuses, le désir féminin étant lui aussi, devenu difficilement exprimable.

    Un roman puissant, une écriture incandescente pour dire les ressacs des traumas de l'enfance.


    Seuil - 19.50 euros - Parution 18/08

    (rappel: "Le coeur synthétique" Prix Médicis 2020 est paru en poche chez Points)

  • Le chien des étoiles - Dimitri ROUCHON-BORIE

    On trouve dans ce roman tout ce que la misère peut semer de violence et de noirceur dans l'âme humaine mais également tout l'amour dont un homme est capable. 

    Après "Le démon de la colline aux loups", Dimitri Rouchon-Borie frappe encore plus fort avec ce texte aux allures de conte gitan d'une beauté terrible. 

    Gio a vingt ans, environ, et sa vie n’est plus la même depuis qu’un coup de tournevis dans le crâne l'a rapproché du ciel. Dès lors, Gio voit les choses qui l'entourent avec une acuité différente et surtout, il refuse de se complaire dans la violence et la vengeance. Fuyant sa "famille", il prend sous son aile de géant deux gosses cabossés, Papillon et Dolores. Commence alors un étonnant road trip pour ces 3 personnages avides de liberté et de tendresse. Ils rêvent d'une vie plus douce, loin de ces phrases toutes faites qui résonnent à leurs oreilles comme des sentences. Mais comment trouver la paix quand l'humanité vous rejette ou n'aspire qu'à développer vos penchants les plus brutaux? Sur quel chemin avancer pour trouver la rédemption?

    Une nouvelle fois, l'auteur parvient par la magie des mots, à faire émerger de la lumière du fin fond des ténèbres. Immense coup de coeur!


    Le Tripode - 19 euros - Parution 17/08

  • La mémoire délavée - Nathacha APPANAH

    Ce récit est celui de la migration des aïeux de l'autrice, partis d'un village d'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice.

    C'est le début d'une grande traversée de la mémoire, qui fait apparaître autant l'histoire collective des engagés indiens que l'histoire intime de la famille de Nathacha Appanah. Ces coolies venaient remplacer les esclaves noirs et étaient affublés d'un numéro en arrivant à Port-Louis, premier signe d'une terrible déshumanisation dont l'autrice décrit avec précision chaque détail. Mais le centre du livre est un magnifique hommage à son grand-père, dont la beauté et le courage éclairent ces pages, lui qui travaillait comme son propre père dans les champs de canne, respectant les traditions hindoues mais se sentant avant tout mauricien.La grande délicatesse de Nathacha Appanah réside dans sa manière à la fois directe et pudique de raconter ses ancêtres mais aussi ses parents et sa propre enfance comme si la mémoire se délavait de génération en génération et que la responsabilité de l'écrivain était de la sauver, de la protéger. Elle signe ici l'un de ses plus beaux livres.


    Mercure de France - 17.50 euros - Parution 31/08

  • La propagandiste - Cécile DESPRAIRIES

    On peut toujours s'arranger avec l'histoire, se mentir et construire toute une mythologie familiale autour de ses mensonges. Mais le silence est assourdissant et les échos se répercutent et ressurgissent à travers les descendants.

     

    Dans le Paris d'après-guerre, une enfant assiste aux rituels étranges des femmes de la famille qui se réunissent quotidiennement chez sa mère, Lucie, dans un immeuble haussmannien. Ces femmes semblent avoir des souvenirs d'une vie dont elles ne parlent qu'à demi-mots. De silences entendus, de pleurs en cris, se dévoile peu à peu le portrait d'une Lucie qui aurait connu un grand amour, pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de se remarier.


    Qui est vraiment Lucie ? 


    "De fil en aiguille, perçant les mensonges et les non-dits de cette mère énigmatique, l’enfant, devenue adulte et historienne de profession, met à nu la part d’ombre de Lucie et de toute une partie de sa famille. Les masques tombent, et l’histoire de cette femme, collaboratrice zélée, en France, sous l’Occupation, se révèle en plein, à l’image d’un passé collectif dont on n’a, aujourd’hui encore, pas fini de faire l’inventaire. La Propagandiste jette un regard sans concession sur la France de la collaboration et son empreinte sur notre mémoire collective."


    Née à Paris en 1957, Cécile Desprairies est germaniste et historienne de l’Occupation en France. Elle a publié de nombreux ouvrages sur les images de propagande, les lieux et les lois de cette période, notamment Paris dans la collaboration (Seuil, 2009). La Propagandiste est son premier roman.


    Seuil - 19 euros - Parution 18/08

  • Dès que sa bouche fut pleine - Juliette OURY

    C'est une expérience de lecture totalement inédite que nous offre Juliette Oury avec ce premier roman. Imaginez une société dans laquelle les tabous ne concerneraient pas le sexe mais la nourriture. En inversant les codes de la table et de la sexualité, elle transpose les problématiques des relations de couples en les étudiant sous un angle nouveau.


    En mettant le lit au milieu du salon et en reléguant la cuisine aux oubliettes voire en en faisant une pièce  interdite, l'autrice met à jour les névroses d'une société arc-boutée sur ses principes.


    Le décalage, accentué par des trouvailles linguistiques et des jeux de mots, en font un livre à la fois drôle, rafraichissant et plus profond qu'il n'y parait au premier abord. Elle aborde dans une langue charnelle, presque organique, la notion de désir/appétit, la manipulation, le consentement, l'éducation, l'empathie et notre fâcheuse tendance à prendre au pied de la lettre les conseils d'experts en blouse blanche quant à notre obligation de rester en bonne santé et aux injonctions pour y arriver. 


    Une invitation à suivre son bon sens et son instinct et à garder intacte notre curiosité.


    Flammarion - 19 euros

  • Nos cœurs disparus – Celeste NG

    Aux Etats-Unis, pratiquement à notre époque, le PACT a été instauré. Il vise à interdire la promotion des valeurs antiaméricaines, exige la participation de tous les citoyens pour signaler les menaces potentielles et surtout protège les enfants des environnements qui les exposeraient à des opinions nocives. C’est ce que Bird, un jeune garçon « POA » (Personne d’Origine Asiatique) doit répondre dans ses devoirs scolaires pour espérer ne pas être inquiété. Car le PACT a sauvé le pays d’une crise économique sans précédent, avec la stratégie habituelle du repli sur soi et de la définition d’un ennemi mortel, en l’occurrence la Chine et toute personne qui par son nom ou son physique peut être affilié à ce pays. Il a entrainé une mise au pas de la société, où personne n’a plus trop intérêt à se faire remarquer, où la censure vient s’abattre sur les livres et créations intellectuelles qui peuvent semer le doute sur la réelle pertinence du PACT. Il s’accompagne également de la disparition d’enfants, dans les cellules familiales où le doute sur le patriotisme et la fidélité aux idéaux de la nation peut être mis en défaut. Dans la famille de Bird, il ne reste plus que son père Ethan. Sa mère Margaret Miu, poétesse, du jour au lendemain n’a plus donné signe de vie. On peut peut-être imaginer un lien avec le séditieux mouvement « Nos cœurs disparus », mots tirés d’un des poèmes de Margaret, qui grâce au recours à l’art sous forme d’happening ou de textes écrits à même les murs ou le sol, vient rappeler que le désordre à parfois du bon quand la peur étouffe la population et annihile toute perspective d’évolution. Bird va donc essayer de retrouver sa mère, aidé en cela par un réseau clandestin de bibliothécaires…


    Celeste Ng s’est inspire de faits réels pour son roman, puisant dans l’histoire américaine pour aborder ces disparitions d’enfants qui ont toujours existé, que ce soit lors de la période de l’esclavage, dans les réserves indiennes ou plus récemment à la frontière sud du pays. Elle a puisé également dans les rapports « difficiles » entretenus avec la communauté asiatique, que ce soit avec les camps d’internement pour les américains d’origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale ou les récentes tensions issues de la pandémie du COVID en 2020. Bien que s’agissant d’une dystopie on ne peut qu’être interpelé par la vraisemblance de son roman, par les signaux d’alerte qui sont pourtant bien là, dès aujourd’hui : l’instauration de règles décidées de manière unilatérale pour le bien de la communauté au dépend de l’individu, la surveillance des uns par les autres notamment sur les réseaux sociaux qui font et défont la réputation, un monde dans lequel la liberté est exprimée à chaque publicité mais qui se transforme petit à petit en prison à ciel ouvert.


    Et pourtant et toujours l’art, la littérature, les histoires, les contes, la poésie pour tenter de faire vaciller les murs invisibles. Et la nécessité toujours de porter la voix des opprimés haut et fort pour ne pas le devenir peut-être un jour soi-même…


    Sonatine – 23.50 euros.

  • L’enfant des forêts – Michel HAUTEVILLE

    A une période indéterminée, des migrants sont pris en chasse par des patrouilles autoproclamées détentrices du droit de vie et de mort. Malheur à celles et ceux qui se font prendre. Et pourtant, il existe encore pire. Tomber dans un piège de Gundrup. Cet homme entre deux âges vit dans une cabane isolée dans la forêt loin de toute route et accès à la civilisation. Sa spécialité ce sont donc les pièges. Ceux pour attraper et tuer animaux et humains pour le nourrir. Ceux pour attraper et conserver pour son bon plaisir. Et si possible des enfants. Car Gundrup se sert des enfants comme moyen d’échange avec son voisin Gundir qui partage la même horrible passion. Pourchassé, c’est donc le malheureux Gun Aîdrinn (le nom que lui donnera Gundrup) qui vient de tomber entre les mains de l’ogre. Il aurait peut-être mieux fallu qu’il meurt tant ce qu’il va subir est inhumain. Il faut dire que Gundrup n’est pas à son coup d’essai, il a essayé de conserver près de lui déjà d’autres enfants, mais à la fin cela s’est toujours mal terminé. Il a l’impression qu’il peut en être autrement avec sa nouvelle victime, détectant un potentiel qu’il va essayer de sublimer. Au programme tortures physique et morale, séquences de survie en milieu hostile, et bien entendu assouvir ses pulsions déviantes. Faire de l’enfant sa marionnette et pourquoi pas lui inculquer les vices et lui promettre aussi un avenir de tortionnaire ?


    Attention, « L’enfant des forêts » n’est pas un roman facile. Il faut avoir le cœur bien accroché pour assister (ou imaginer) des scènes qui ont en commun d’être insoutenables. Il s’agit bien d’un roman sur le mal, dans la façon dont il s’exprime lorsqu’il ne semble plus exister de limite. Très certainement dans un monde postapocalyptique, les hommes sont laissés à leur pires travers, la satisfaction des besoins primaires et sans société pour apporter un garde-fou, juger et sanctionner des comportements déviants. On alterne ainsi les points de vue de Gundrup et de Gun Aîdrinn, ce dernier s’exprimant de manière particulière puisque la syntaxe et la ponctuation sont différentes, comme si l’indicible ne pouvait être exprimé par des tournures normales.


    Un roman original mais très dur, qui s’adresse à un lectorat averti. 


    Le Tripode – 21 euros

  • Les étoiles doubles - Laurent BÉNÉGUI

    En 1811, au Siam, l’arrivée de jumeaux fusionnés par le sternum bouleverse une famille modeste de pêcheurs. Considérés comme un mauvais présage, par superstition, le roi les condamne à mort. La sentence n'est cependant pas appliquée, et l'amour infini de leur mère, son dévouement et sa volonté sans faille vont leur permettre de vivre et de s'épanouir physiquement et intellectuellement suscitant bientôt la curiosité au delà des frontières du petit royaume.

    Ils sont d'une intelligence remarquable et décident de prendre leur destin en main en acceptant de partir en tournée dans le monde entier: exhibés comme des êtres monstrueux aux performances extraordinaires à travers les États-Unis, l’Angleterre et la France, ils réussissent à s’affranchir de leur "impressario" qui les exploite comme des esclaves et, malgré la discrimination, grâce à leur éducation et leur détermination, ils arrivent à être considérés comme des êtres humains presque normaux dans une société réactionnaire. Ils vont se marier, avoir de nombreux enfants et travailler à rendre leurs familles heureuses.


    Laurent Bénégui écrit là, un récit captivant; il nous entraîne dans le quotidien de ces deux hommes, au plus près de leurs pensées et de leurs sentiments.

    S'ils parcourent le monde, ils ne rentreront jamais dans leur pays. Ils auront subi la guerre de Sécession et, si leur mère aura tout fait pour leur éviter une séparation chirurgicale hasardeuse, les dernières années de leurs vies les verront près à tenter cette coupure qu'aucun chirurgien ne voudra tenter. A l'origine de l'expression "frères siamois", Chang et Eng ont démontré de la plus belle manière, que leur "nature" n'était pas contre-nature, ce roman est un magnifique éloge de l’acceptation de la différence.


    Julliard - 24 euros

  • Cinq têtes coupées: Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l'oubli - Daniel SCHNEIDERMANN

    En visitant une exposition au musée de l'Armée en 2022, Daniel Schneidermann tombe dans un recoin, sur une photo publiée dans L’Illustration : cinq têtes « indigènes » coupées.

    Cette photo de 1891 est l'une des premières à montrer au monde, les atrocités commises au nom de la colonisation. L'opinion française est-elle pour autant prête à acueillir la preuve que les soi-disants faits glorieux entourant la mission civilisatrice de la France s'accompagnent des pires sévices?

    La conquête du <span;>« Soudan français » (actuels Mali et Niger) se passe à la Belle Epoque, et les nouvelles de la lointaine Afrique ne soulèvent guère de réactions, d'autant plus que le gouvernement et la presse ne dénoncent pas les massacres qui semblent n'être qu'anecdotiques. Et pourtant, combien de militaires et d'officiers perdirent la raison, à l'instar de Kurtz, le héros de Conrad, jusqu'aux crimes contre l'humanité.

    Ce livre est une enquête sur la fabrique du déni à grande échelle, de cette époque à nos jours. L’auteur nous raconte la propagande coloniale de l’époque, et s'interroge sur sa propre ignorance, et sur la persistance actuelle d'une certaine indifférence blanche.


    Cinq têtes coupées dépeint une période refoulée, et le portrait de ces « héros » de la colonisation dont la popularité est aujourd'hui difficilement imaginable sauf que des statues à leurs effigies émaillent le sol européen, de nombreuses places, rues, avenues, portent leurs noms. Il faut avoir le courage de regarder en face ce que les occidentaux se sont permis et se poser la  question suivante: pourquoi l'opinion a t-elle mis tant de décennies avant de réagir face à ces photos? L'auteur met au jour les manipulations aboutissant à l'occultation d'un événement historique. "À l’heure où les ex-colonies s’émancipent vigoureusement de la Françafrique, n’est-il pas enfin temps de regarder ensemble cette histoire en face ?"


    Daniel Schneidermann est journaliste et créateur de l’émission « Arrêt sur images ». Spécialiste des récits médiatiques, il est notamment l’auteur de Berlin, 1933. La presse internationale face à Hitler(Seuil, 2018), qui a obtenu le prix des Assises du journalisme de 2019.


    Seuil - 20 euros

  • Triste Tigre - Neige SINNO

    Neige Sinno raconte l'indicible en se posant constamment la question de savoir si elle devait écrire sur le traumatisme de son enfance: des viols répétés de ses 7 ans à ses 14 ans, infligés par son beau-père. Est-ce que sa démarche est légitime? Qu'est-ce que les lecteurs vont chercher dans son texte? Sont-ils comme elle, attirés par cette histoire comme des voyeurs? Chercheront-ils les formes littéraires, sa façon de faire un pas de côté en essayant de se mettre à la place du violeur? Elle nous dit à quel point l'oubli est impossible et la résilience, une chimère, un voile qui ne fait que masquer temporairement les blessures. Au final, si ses mots peuvent aider ne serait-ce qu'une personne, au moins l'écriture aura un sens.


    Triste tigre n'est pas un récit linéaire et ce n'est pas non plus un témoignage: si elle décrit son enfance et des épisodes insoutenables, elle le fait d'un point de vue extérieur, sans pour autant paraître détachée. On trouve dans ses lignes des analyses de Nabokov, Angot, Carrère...

    Elle raconte la solitude et les réactions des voisins quand la plainte qu'elle dépose avec sa mère est suivie de l'aveu et de l'incarcération du coupable. Elle cherche à comprendre comment fonctionne le cerveau de cet homme, comment la "relation" a pu s'installer au point que la culpabilité finisse par reposer uniquement sur la victime.


    Neige Sinno force l'admiration même si elle n'en veut pas.


    POL - 20 euros

  • Rocky, dernier rivage - Thomas GUNZIG

    Roman post-apocalyptique? oui mais au soleil sur une île paradisiaque  et tout confort. 


    Son propriétaire millionnaire, prévoyant, l'a acquise pour qu'en cas de risque, pouvoir mettre sa petite famille à l'abri des crises écologiques, sanitaires et des conflits armés. Au premier signe de fin du monde, il s'y réfugie avec sa femme, ses deux enfants et un couple de chiliens qu'il rémunère pour l'entretien et le nettoyage de la résidence, exigeant d'eux une grande qualité de service. Mais qu'adviendra-t-il d'eux quand ils réaliseront que le monde s'est écroulé? Quels impacts sur leurs relations familiales? et puis surtout...comment maintenir son statut social dans ce cadre là?


    C'est un roman que l'on dévore tant le rythme est soutenu et parfaitement maîtrisé. Et au final, ce roman dresse une critique sociale acérée, à conseiller à tout milliardaire de votre entourage!


    Le diable Vauvert -  20 euros.

  • Bain de boue - Ars'O

    C'est le petit OVNI de la rentrée littéraire! On ne sait quasiment rien de l'auteur si ce n'est qu'il est un habitué des romans et BD de littérature de l'imaginaire et qu'il est scientifique de formation. 


    Il nous livre un roman de science-fiction aussi surprenant que radical. On enfile les bottes et on plonge dans la boue! Car c'est littéralement dans un monde de bouillasse que vit désormais l'humanité (toute l'humanité ou une partie, nul ne le sait): au milieu de cette fange, se trouve le Refuge, un lieu surélevé qui bénéficie d'un plancher (sec) et d'un potager, le tout jalousement gardé par le Jardinier, homme/créature infâme, se déclarant démiurge et règnant par la violence, y compris sexuelle, sur les rares "privilégiés", les Puterels. Abusés, battus, ils n'ont pas grand-chose à envier à ceux d'en bas, les Pelleteux, qui déblayent la boue comme des shadocks, en évitant les coulées (plus ou moins annoncées par le Jardinier) qui les ensevelissent régulièrement, et les blessures qui, dans cette bauge, s'infectent et les font pourrir.

    Dans cet univers de bouillasse dont seule la mort délivre, Lana et Rigal, deux Pelleteux, décident de s'enfuir et de suivre leur instinct qui les poussent à croire, à se souvenir, qu'il existe un ailleurs, sans boue. Mais tout périple ne saurait commencer sans un peu d'aide et au duo de fuyards s'ajoutent un Puterel et une Môme bientôt rejoints par la Vieille Truie, quasi muette et parfaitement à l'aise dans la boue.

    Pour avancer, il va falloir apprendre à faire confiance aux membres de groupe boîteux et surmonter la lassitude des paysages marronnasses qui ne semblent pas avoir de fin.


    Un texte très très sombre au style particulier, répétitif comme s'il épousait ce voyage déprimant dans cette boue collante qui semble ne jamais vouloir finir.


    Pour les lecteurs qui apprécient les romans noirs et âpres, qui aiment plonger dans ce que l'âme humaine a de plus abjecte pour trouver, en bout de course, une faible lueur d'espoir. Pour les autres, passez votre chemin, le voyage est trop déprimant.


    Les éditions du sous-sol - 19.50 euros

  • Veiller sur elle - Jean-Baptiste ANDREA

    Jean Baptiste Andrea a l'art de vous faire regretter d'arriver à la dernière page de ses romans. "Veiller sur elle"

    ne déroge pas à cette habitude:

    l'auteur campe deux personnages inoubliables, Mimo et viola dans l'italie du xxeme siècle.


    Le roman commence en 1986, on assiste aux derniers instants de Mimo qui a trouvé refuge dans un monastère depuis de nombreuses années. Et l'on suit ses pensées en remontant le fil de ses

    souvenirs. Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, est né en France de parents italiens. À la mort de son père, il est envoyé en Italie chez un vague oncle sculpteur de son état, surtout alcoolique et brutal,

    en  apprentissage dans son atelier de sculpture. En fait, Mimo a deux particularités: il a un talent inné pour "voir" dans la pierre l'oeuvre qui s'y cache et il souffre d'achondroplasie ce qui lui vaudra

    d'être longtemps traité de nabot et surtout il suscitera le doute quant à ses capacités autant intellectuelles qu'artistiques.

    Quand il s'installe à Pietra d'Alba avec son maître, il va faire la connaissance tout à fait surprenante, de Viola Orsini, la non moins surprenante fille du comte, propriétaire des terres, une famille riche et puissante.. Viola se distingue elle aussi par son caractère rebelle, son hypermmésie et son appétit de vivre. Leur amitié improbable se transforme en un amour impossible mais sincère et durable.


    La vie et l'Histoire vont les ballotter amenant l'un à progresser divinement dans son art quitte à le mettre au service de causes indéfendables, l'autre à prendre des décisions radicales pour tenter de survivre à tout ce qui entrave sa liberté parce qu'elle est une femme.


    JB Andrea rend un hommage vibrant à l'art, à l'Italie, plaçant une fois de plus ses personnages devant des choix difficiles... et ils ne feront pas toujours les bons.

    Cependant, il n'est jamais trop tard pour tenter de faire mieux et surtout rejoindre un chemin en accord avec son coeur.


    Ode à la différence, à l'amour entre deux âmes soeurs dont on attend fébrilement que l'auteur les réunisse.

    Ode à la puissance des mots et des oeuvres d'art, à l'importance d'y plonger son regard et de s'abreuver à la source des livres et des créations des plus grands artistes.


    Merci M. Andrea pour ce formidable roman qui mêle subtilement les vies si fragiles si courtes des hommes et l'éternité des oeuvres d'art qui veillent sur nous.)


    L'iconoclaste - 22.50 euros

  • Panorama - Lilia HASSAINE

    Imaginez un monde transparent, un monde dans lequel, pour votre sécurité, l'aménagement des logements est fait de telle façon qu'il n'y a pas moyen de se cacher du regard de tout un chacun. En 2050, des quartiers entiers sont construits de maisons aquarium, faisant chuter de manière impressionnante, le taux de violences et d'homicides. Un gouvernement a été mis en place suite à la Revenge Week, 20 ans plus tôt, par et pour le peuple dans un mouvement de révolte contre la justice impuissante à le protéger. Dans ce monde sécuritaire et surveillé à l'extrême, comment une famille entière a-t-elle pu disparaître sans que personne ne voit rien?


    C'est donc une enquête et surtout l'occasion pour l'autrice de s'essayer à une nouvelle forme d'écriture, l'uchronie, sans perdre de vue des problématiques qui lui tiennent à coeur : conflits de classes, secrets de famille, pressions sociales...le tout dans une ambiance fascinante et oppressante. Quand la notion d'intimité disparait ainsi que le libre arbitre, quelle vie peut-on espérer? La liberté ou la sécurité absolue? La justice rendue sur Internet assouvissant les désirs de vengeance est-elle un aboutissement ou une régression?


    Un roman qui pose des questions essentielles et une autrice dont l'écriture évolue habilement : intelligent et efficace!


    Gallimard - 20 euros

  • Le portrait de mariage - Maggie O FARRELL

    Après l'excellent "Hamnet", Maggie O'Farrell nous embarque dans l'Italie de la Renaissance auprès d'une jeune femme, presqu'une enfant, Lucrèce de Médicis. Troisième enfant du grand Duc de Toscane, c'est une enfant rebelle, d'une rare intelligence mais que le comportement qualifié d'étrange, place en retrait de la fratrie. Seule sa nourrice semble la comprendre. Lucrèce a 13 ans quand le roman débute: elle a développé ses talents artistiques et son goût pour l'observation de tout ce qui l'entoure lui permet de comprendre et de deviner les liens pourtant compliqués voire secrets entre les personnes, que ce soient les petites mains qui oeuvrent dans l'ombre ou les personnalités qui viennent visiter son père. A cet âge, elle aurait pu espérer encore quelques années pour grandir mais la mort de sa soeur aînée promise au duc de Ferrare va bouleverser son destin. Le père de Lucrèce s'empresse de négocier de nouvelles noces avec cette soeur cadette. Certes elle n'est pas encore nubile, du moins sa nourrice tente de gagner du temps en le prétendant, mais très vite le mariage est célèbré avec cet homme de quinze ans plus âgé. Celui-ci a des responsabilités qui le tiennent très occupé et surtout qui exigent de lui qu'il obtienne très rapidement une descendance. Les complots se trament, des têtes tombent, Lucrèce, si jeune, ne sait pas se taire quand il le faudrait, et dans son coeur, reste l'espoir de vivre un amour semblable à celui de ses parents. Quand la violence fait irruption dans son univers, la peur commence à s'immiscer dans son esprit, d'autant qu'elle comprend rapidement que sa vie dépendra de sa capacité à donner un héritier à son mari.


    C'est un roman lumineux et poignant que nous livre une nouvelle fois l'autrice irlandaise: autour d'une héroïne d'une jeunesse et d'une intelligence rare, elle nous plonge dans une époque dans laquelle les femmes sont enfermées dans des carcans. Elles ne sont que des pions que les hommes manipulent à leur guise. L'accès à l'éducation ne les libére pas de leurs prisons: leurs ventres sont des enjeux, leurs vies tellement fragiles. Un grand roman!


    Belfond - 23,50 euros

  • La Nourrice de Francis Bacon - Maylis BESSERIE

    Francis Bacon, le futur peintre de la violence, de la cruauté et de la tragédie, grandit dans la campagne irlandaise. C'est un enfant fragile, asthmatique, doux et intelligent. Sa mère est une femme indifférente, son père est malveillant et violent: militaire raté, ses accès de fureur terrifient la maisonnée. Les coups pleuvent sur Francis trop efféminé aux yeux de son père que son comportement met hors de lui, et il va tâter du fouet plus souvent qu'à son tour. Ce sont les seuls moments où l'attention paternelle se reporte sur lui. À seize ans, il est contraint de quitter la maison: il s'installe à Londres, vivant de menus larcins et des largesses de riches amants.


    La personne la plus importante de sa vie, celle sur qui il pourra toujours compter, est sa Nanny: Miss Jessie Lightfoot, la narratrice du roman. Elle le rejoint à Londres et restera près de lui, le choyant et couvrant ses frasques qui auraient pu lui valoir la prison, l'homosexualité étant lourdement punie. Voici donc le journal d'une vie racontée par cette mère de substitution: elle évoque non sans humour, les "pitreries" de son Francis, ses inquiétudes quand elle le voit chercher la violence dans ses relations, les cauchemars qui le poursuivent, les élans de créativité alternant avec des périodes de profondes dépression. Les chapitres alternent avec de courtes présentations d'oeuvres du peintre dans lesquelles Maylis Besserie tutoie l'artiste pour mieux nous dévoiler son esprit hanté par l'odeur du sang et les visions de corps torturés.


     Un seul regret: que ces chapitres ne soient pas illustrés de l'oeuvre dont il est question.


    Gallimard - 20 euros (parution le 17/08/23)


  • La danse des damnées - Kiran MILLWOOD HARGRAVE

    Au coeur de l'été caniculaire de 1518, non loin de la cathédrale de Strasbourg, une femme se met à danser. Inspiré de faits réels, le nouveau roman de Kiran Millwood Hargrave nous plonge dans une époque de superstitions auprès de femmes, non

    seulement les grandes oubliées de l'Histoire, mais également, les grandes damnées.


    Le jour de sa naissance, une météorite a ravagé les cultures, et Lisbet sait que depuis, une malédiction pèsera sur elle:

    combien de souffrances devra-t-elle offrir au Ciel pour y mettre fin? Mariée depuis plusieurs années à Henne, son ventre s'arrondit régulièrement mais aucun bébé ne remplit ses bras. Aussi, quand à nouveau, son corps s'alourdit d'une  grossesse, elle n'ose plus croire en une heureuse issue. D'autant que les mauvaises saisons se succèdent: si la famille qu'elle forme avec son mari et Sophey, sa belle-mère, vit de façon plutôt privilégiée grâce au commerce de la cire et du miel récoltés dans ses ruches, une pauvreté extrême s'étend dans la ville. Elle peut compter sur le soutien du

    meunier: sa fille Ida est sa meilleure amie. Ida est l'incarnation de la perfection et sa bonté est immense. La maternité lui sied, comblant sa vie malgré un mariage mal assorti. Car son mari, Alef Plater, est l'homme de main du conseil des XXI,

    assemblée disparate ayant pour mission de faire règner l'ordre sur la ville avec l'aval de l'Eglise. Cet été-là est aussi celui du

    retour de la soeur de Henne: Agnethe a passé sept années en pénitence pour un péché dont

    personne ne veut parler à Lisbet. Aussi, quand Plater somme Henne de se rendre au Tribunal à Heidelberg pour un litige lié aux zones de butinage des abeilles qui volent les fleurs sauvages du monastère voisin, Lisbet va se retrouver prise dans un tourbillon de secrets: chaque femme a les siens, c'est ce qui va les lier, pour le meilleur et pour le pire.

    L'autrice des "Graciées" met tout son talent de conteuse dans cette chronique historique: elle y parle des peurs ancestrales, de sororité et de la folie des hommes. Un roman sur la puissance chevillée au creux des corps des femmes, sur le climat qui se détraque et la Nature refuge.


    Robert Laffont - Parution 31/08/2023

  • Psychopompe - Amélie NOTHOMB

    Avec tout le talent qu'on lui connaît, Amélie Nothomb évoque son intérêt pour les oiseaux.Elle s'est passionnée de manière obsessionnelle et ce, dès le plus jeune âge pour le peuple ailé. Elle voit en eux des messagers entre la terre et le ciel, elle admire leur courage et leur prise de risque à chaque envol, activité qu'elle compare à celle de l'écrivain qui se jette dans le vide à chaque fois que naît un projet d'écriture.


    Elle envie leur légereté, au point de vouloir leur ressembler: suite à un traumatisme, elle cesse de s'alimenter espérant s'arracher bientôt à l'écorce terrestre, se délestant de la pesanteur qui l'encombre.


    Comme toujours, avec une économie de mots mais certainement pas d'esprit, Amélie Nothomb nous fait partager ses questionnements d'enfant (surdouée) d'une tendresse touchante et qui rejoint bientôt des préoccupations et des interrogations plus spirituelles et philosophiques. 



    Albin Michel - 18,90 euros - Parution 23/08

  • Lise Deharme, cygne noir - Nicolas PERGE

    Lise Deharme ne fut pas une femme facile.

    André Breton s’est consumé d’amour pour elle. Louis Aragon, Jean Cocteau, Antonin Artaud, Paul Eluard, Robert Desnos, l’adorèrent, suspendus à son jugement lapidaire. Lise Deharme, née en 1898, régna sur les cœurs des artistes avec l’aplomb d’une duchesse médiévale. Mécène de Giacometti et de Man Ray, elle organisa dans son salon des réunions mémorables, sous l’œil amusé de ses copines Marie-Laure de Noailles et Louise de Vilmorin.

    Elle se maria une première fois avec l’héritier des magasins Old England, homosexuel, qui se suicida. Elle connut l’immense amour avec Paul Deharme, qui mourut jeune. Epousa alors son meilleur ami, Jacques, pathétiquement dévoué. Lise était donc entourée, mais toujours seule.

    Car Lise cachait des peurs, des fêlures et des manques. Jamais remise d’avoir été haïe par sa mère, détestant son milieu fortuné sans en renier les bonnes manières, elle préféra toujours la compagnie des fantômes à celle des humains. L’obscurité, le surnaturel et les peurs, lui parlèrent beaucoup plus que les convenances de salon. Ses textes, d’une magnifique étrangeté, sont tombés dans l’oubli. Pourtant, ils révèlent ce qui a pu rendre fous les surréalistes  : l’ésotérisme, mais aussi le goût pour la souillure, la sauvagerie, l’absurde, les caprices insensés. 

    Lise Deharme ne s’endormait jamais sans avoir disposé, sur son lit, des petits tas de livres. Elle mit un point d’honneur à mentir, tout le temps, sur tous les sujets. Elle finit seule et ruinée, trop différente, trop inquiétante pour que la postérité ne garde sa trace.

    Nicolas Perge met en lumière ce personnage hors du commaun.


    JC Lattès - 20.90 eiros Parution 23/08/2023

  • Le premier jour de paix – Elise BEIRAM

    En 2098, la Terre a bien changé. Les problèmes environnementaux ne se sont pas améliorés mais il ne reste plus que deux milliards d’habitants à sa surface pour en profiter. Ces derniers se sont réorganisés en plus petit groupes, comme celui dont fait partie Aureliano au début du roman. L’eau reste le problème majeur de ce nouvel ordre mondial et le projet quotidien de chacun consiste surtout de voir venir le jour suivant sans trop de difficultés. Alors bien entendu, l’être humain n’a pas pour autant abandonné ses sales habitudes et ses velléités agressives, et des « émissaires » telle que Esfir que nous rencontrons ensuite sont donc réquisitionnés pour calmer le jeu avant que la situation de dégénère vraiment. Au niveau « macro », les nations en tant que telles n’existent plus et c’est en Grands Territoires (Américain, Est, Ouest, Sud) que la planète a été découpée. Il reste encore également à ce niveau de nombreuses sources de tension, des zones de frictions entre deux GT qui paraissent bien dérisoires à la vue de la situation de la Terre. C’est là qu’intervient America, une femme volontaire qui se sent parfois dépassée quant au travail qu’il reste à faire. Elle est en rapport avec des « forces supérieures » qui tirent les ficelles sans que la population n’en soit informée. Leur objectif : qu’arrive enfin ce premier jour de paix qui pourra faire changer la terre de catégorie au sein de l’univers. 


    Dans la continuité de la ligne éditoriale amorcée par leur auteur Becky Chambers et ses titres « Un psaume pour les recyclés sauvages » et « Une prière pour les cimes timides », L’Atalante nous fait découvrir le premier roman d’une auteure française qui ne cède ni au cynisme ni au fatalisme quant à l’avenir de notre planète. Malgré la gravité de la situation, l’écoute, l’échange et le partage (soupoudrés d’un peu de bonne volonté) pourraient laisser envisager une issue moins catastrophique qu’il n’y parait. Le propos est plutôt crédible et la découpe du roman s’avère agréable, même si la partie purement SF est peut-être un petit peu en retrait. Mais en tout cas cette anticipation climatique avec un réelle volonté des habitants et de leurs responsables de vouloir faire quelque chose est louable.


    Un roman plus ensoleillé que sombre malgré les sujets évoqués et qui évite le côté sentencieux qui accompagne parfois ce genre littéraire qu’est la dystopie. 


    L’Atalante – 15.50 euros (parution le 24/08/2023)


  • Les voleurs d'innocence - Sarai WALKER

    Si vous aimez "Les hauts de Hurlevent", précipitez vous sur ce roman: nettement plus ensoleillé mais tout aussi sombre, vous allez découvrir la malédiction des soeurs Chapel. "D'abord elles se marient puis on les enterre". Etats-Unis, années 50. Prenez six soeurs aux prénoms de fleurs, jolies jeunes filles vivant dans l'opulence d'une maison victorienne ressemblant vaguement à un gâteau de mariage. Leur père a construit sa richesse sur la fabrication du fusil Chapel, leur mère est une femme bizarre, d'aucun diront folle à lier, qui sent un parfum de rose quand un malheur va frapper. Et ce parfum l'assaille quand sa fille aînée, Aster, prépare son mariage. Seule Iris, l'avant-dernière des filles, se demande si sa mère n'aurait pas raison mais, écoute-t-on jamais les femmes et leurs prémonitions? 

    Le mariage est célébré, Aster décède. La grippe soi-disant. La suivante est Rosalind, bien décidée à ne pas s'effrayer d'une malédiction énoncée par sa folle de mère qu'on tient désormais recluse dans sa chambre sous sédatifs. Je n'en dirais pas plus si ce n'est que ce roman se dévore; l'ambiance est gothique à souhait, les tombes s'alignent peu à peu dans le jardin: Iris pourra-t-elle faire ses choix et ceux-ci pourront-ils briser le destin des femmes Chapel? 

    Un roman merveilleux et addictif.


    Gallmeister - 26.40 euros - Parution 24/08

  • Les silences des pères - Rachid BENZINE

    Pourquoi les pères choisissent-ils si souvent le silence? Comptent-ils ainsi protéger leurs enfants de la honte qu'ils éprouvent de leur propre histoire? Cette question de la parole du père est au centre du prochain roman de Rachid Benzine.

    Un fils doit retourner auprès de son père décédé pour accomplir les rituels qui lui incombent. Il s'est volontairement éloigné de ce père trop silencieux, grâce à la musique dont il a fait son métier et qui le fait voyager dans le monde entier. La perte d'un jeune frère puis de sa mère, sa carrière, tout l'a entraîné loin de Trappes dont le nom résonne ici comme celui d'un lieu dont il faut s'échapper pour vivre. En faisant le tri des affaires de ce père qu'il n'a jamais compris, il tombe sur un sac de cassettes audio (oui celles qu'on rembobine avec un crayon!): ce sont des enregistrements que son père envoyait à son propre père resté au pays et que des lettres auraient mis dans l'embarras. Pourquoi les a t-il gardées? Ce journal intime oral raconte l'exil, les efforts pour s'intégrer, la rudesse du travail et la force de l'amitié. 50 ans de l'histoire d'un pays qui se désindustrialise peu à peu et récompense si mal ses travailleurs que la France a pourtant été chercher.

    La voix de ce père qui surgit du passé éclaire enfin l'histoire d'un homme qui aura fait tous les sacrifices pour sa famille même celui de l'amour,; une voix qui abolit enfin la distance entre un père et son fils.


    Seuil - 17.50 euros - Parution 18 août

  • Les naufragés du Wager - David GRANN

    David Grann est de retour avec une enquête aussi fouillée que passionnante: rappelez-vous "La cité perdue de Z" (      ) ou 'La note américaine'  (    ). Ces deux livres ont été adaptés au cinéma: pas de doute, ce nouvel opus devrait inspirer les metteurs en scène.


    En  1740, le Wager, entouré d'une escouade de plusieurs navires, sous le commandement du commodore Anson, appareille depuis Londres pour une mission secrète: piller les cargaisons d'un galion espagnol. Mais les avaries provoquées par le passage du cap Horn au pire moment de l'année, précipitent le naufrage: une poignée de survivants sur les deux cent cinquante officiers et hommes d'équipage se retrouvent coincés sur une île désertique, battue par les vents, au large de la Patagonie. Les conditions  de vie sont terribles: les morts s'accumulent, la faim pousse certains à des extrémités impensables, les révoltes grondent, un meurtre est commis. Trois groupes s'affrontent quant à la stratégie à adopter pour s'échapper et alors que tout le monde pensait que l'intégralité de l'équipage avait disparu, un groupe de 29 survivants réapparaît au Brésil, 283 jours après le naufrage. Puis un deuxième petit groupe de 3 survivants est retrouvé une centaine de jours plus tard.


    Tous sont rapatriés en Angleterre où commence une guerre des récits: chacun veut sauver son honneur, chacun veut donner sa version de l'histoire, et David Grann, en bon journaliste, expose chaque témoignage en cherchant sous le vernis, la vérité. S'appuyant sur des documents d'époque (journaux de bord, procès) le journaliste cherche les erreurs et les tactiques des enjoliveurs d'histoires. C'est une reconstitution captivante dans laquelle nous entraîne l'auteur, enquête historique qui se dévore comme roman d'aventures et qui questionne sur le sens des récits.


    Editions du Sous Sol - 23.50 euros (parution le 25/08/2023)

  • Il faut toujours envisager la débâcle - Laurent RIVELAYGUE

    On a une vision romantique, et donc fausse, du métier de journaliste. C'est donc presque soulagé que le narrateur accueille son licenciement: trop d'années perdues à rédiger des articles fades! Il va pouvoir se consacrer à une activité hautement

    jubilatoire: devenir écrivain. Et le sujet parfait du livre qui va le mener, c'est sûr, à la célébrité, c'est un fait divers. Il choisit l'affaire du Grêlé, une série de viols et de meurtres non élucidés. Ses recherches obsessionnelles, son comportement

    excessif et dépressif lui font perdre pied et sapent sa vie de famille. Apparaît Xavier Dupont De Ligonnès, planqué depuis des mois dans le tiroir de son bureau: il entend bien jouer un rôle dans cette enquête et distiller de précieux conseils. Un

    roman loufoque, l'histoire d'un homme en plein questionnement existentiel qui espère retrouver son chemin.


    Calmann Levy - 19.50 euros - Parution 23/08/2023

  • Hôtel de la Folie - David LE BAILLY

    Une enquête familiale passionnante et terrible: le nouveau roman de David Le Bailly qui succède à "L'autre Rimbaud" (sur les secrets entourant le frère du poète) nous entraîne dans les méandres de l'histoire de sa grand-mère.


    David se souvient d'elle:  Pià Nerina. Il se souvient surtout de ce jour terrible où devant ses yeux, elle s’est  défenestrée de l'appartement près de la place de l’Étoile où elle vit avec sa fille, folle, et son petit-fils qu'elle élève, remplaçant une mère défaillante. C'est le point de départ d’une plongée dans le passé, une histoire rocambolesque et tragique racontée par l’unique survivant, le narrateur.

    Qui était Pià Nerina ? Comment cette Napolitaine sans le sou a pu,  sans travail déclaré, se constituer un tel patrimoine dans les beaux quartiers de Paris? Des photos déchirées, grattées, des vrais faux documents pour enregistrer de fausses dates de naissance, fausses adresses, faux mariage : l’auteur va de surprises en surprises découvrir une vie de mensonges, de faux-semblants et de fuites. Qui est cet homme dont l’identité a été voilée?

    Pià Nerina va payer bien cher d'avoir voulu une vie libre, rejetant les lois et surtout les codes d'une société étouffant les femmes. La folie de sa fille adorée, sa violence inimaginable héritées d'un passé resté prisonnier de l’Hôtel de la Folie.


    Seuil - 18.50 euros - Parution 18/08

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