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VENDREDI 7 JUIN

18h30


PIERRE RAUFAST

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Biographie



Pierre Raufast est né à Marseille en 1973. Depuis son premier roman, La Fractale des raviolis (prix de la Bastide et prix Talents Cultura 2014), il se plaît à jouer avec les structures narratives. Quand il n’écrit pas, il travaille dans la cybersécurité (et vice versa). 

Portrait (c) Nelly Raufast

HORAIRES D'OUVERTURE:   DU MARDI AU SAMEDI 9h-19h non stop


ROMANS❄ rentrée littéraire HIVER 2024

  • Tout est sous contrôle – Christopher BOUIX

    Vous rêvez d’un monde dans lequel le bonheur est devenu l’élément central de l’existence ? Vous êtes bien sûr ? Car celui qu’a imaginé Christopher Bouix, qui s’appuie sur ce concept, est assez effrayant. Après avoir exploré dans Alfie la psyché d’une intelligence artificielle qui avait bien du mal à comprendre celle des êtres humains et qui avait semé un certain désastre dans la vie de ses propriétaires, l’auteur français s’intéresse à un indice : celui du bonheur. Ce dernier va fluctuer en fonction du comportement de chacun, augmenter par exemple pour une publication provoquant la subjugation des « amis » devant un petit chat trop mignon (petit chat qui restera à jamais petit chat puisque modifié génétiquement pour ne jamais grandir…) et inversement chuter en cas d’absorption d’une dose d’alcool jugée excessive ou pour des propos exprimés de manière trop véhémente. L’application (encore une…) HappyApp permet bien entendu de suivre son évolution directement sur des lentilles de vision AlphaCorpTrueSight.

     

    Alors si le concept peut paraître motivant et positif, il s’avère vite exigeant, notamment lorsque comme Noé et Juliette vous devez entrer en compétition avec des gens aussi heureux, voir plus que vous, dans une course à l’accession à la procréation avec une population réglementée et un nombre de naissance encadré, et que le dossier repose sur le meilleur indice possible. Il en va de même quand vous semblez être au fond du trou comme Sybille qui vit avec sa mère qu’elle déteste et qui ne parvient pas à faire monter ce fichu indice. Pas évident non plus pour Ming qui essaie tant bien que mal à vivre sans se référer à cet indice mais qui doit tout de même composer avec le monde virtuel pour tisser des relations et affronter les deepfakes et autres joyeusetés qui font qu’on ne sait jamais vraiment qui est derrière son écran…


    Nouvelle immersion réussie dans notre futur proche, un futur qui sous couvert de bien être et de sérénité s’avère être encore plus infernal que la marche de l’humanité depuis sa création. Une société qui se veut paradisiaque, dans laquelle l’épanouissement personnel et l’obsession du bonheur participent à la création d’un véritable cauchemar. Alors, toujours aussi envie d’être heureux ?


    Au Diable Vauvert – 20 euros.

  • Les semeuses - Diane WILSON

    Ce roman est un hommage magnifique et terriblement émouvant aux femmes d'une tribu sioux, originaires du Minnesota. Elles sont les gardiennes des graines qui tiennent la trame du monde: elles attendent patiemment leur heure, prêtes à libérer la vie si elles sont correctement plantées et arrosées.


    A travers l'histoire de Rosalie Iron Wing arrachée à sa famille à l'âge de douze ans dans les années 1970, et confiée à une famille d'accueil blanche, elle va grandir coupée de ses racines mais restant cependant aux yeux de ses camarades, l'indienne, la squaw... L'adolescente renfermée et rebelle, se forge un tempérament de fer et une carapace tout aussi imperméable. Son mariage avec un fermier blanc installé sur des terres accaparées par les colons, lui donne un temps l'impression de reprendre en main le cours de sa vie. Mais peu à peu, sensibilisée aux problèmes de pollution de la rivière et des sols, inquiète pour la santé et l'avenir de son fils qu'elle n'ose pas élever "comme un indien", elle tente de faire entendre sa voix d'abord à son mari puis à la communauté. Cependant, elle a bien peu de poids face aux intérêts des fermiers et de la nouvelle firme vendant à prix d'or des semences manipulées génétiquement: pris au piège de l'agriculture intensive et commerciale, les fermiers ne peuvent être sensibles aux accents angoissés d'une femme, qui plus est une indienne, qui leur commande d'être plus respectueux de l'environnement. A la mort de son mari, Rosalie cherche un sens à sa vie et c'est en retournant dans la cabane construite par ses arrières grands parents et dans laquelle elle a vécu avec son père, qu'elle va retrouver le chemin de ses ancêtres.


    L'autrice, d'origine autochtone, s'inspire de l'histoire terrifiante de ses ancêtres, massacrés, déportés, enfermés, spoliés, dont les enfants ont été enlevés, placés dans des établissements pour "tuer l'indien en eux", traumatisme dont les familles payent, encore aujourd'hui, le prix. Elle nous raconte l'histoire de Marie Blackbird chassée de ses terres en 1860, des graines cousues dans ses vêtements, de Darlene Kills Deer échappant de justesse aux agents qui arrachaient sans égards les enfants à leurs familles et qui, à quatre-vingt dix ans, cultive du maïs dans son appartement. Pour sauver ces graines et les savoir faire de ce peuple qui a survécu à la misère, à l'injustice, aux deuils, il a fallu que ces femmes gardent l'espoir de nourrir, de transmettre génération après génération le respect de la vie, si petite soit-elle, car chacune à un rôle à jouer dans l'équilibre de l'univers.

    Un roman puissant qui vous tiendra éveillé longtemps, qui vous fait sentir l'énergie vibrante de cette terre qui souffre sous les injures répétées que lui font les humains: "une nation qui détruit son sol se détruit elle-même", Franklin Roosevelt. C'est aussi le sublime éclairage d'un peuple qui tente malgré tout de continuer à se battre pour la sauvegarde des traditions et de leur histoire: un appel à ne pas oublier qui nous sommes et ce que nous devons à la nature.


    Rue de l'Echiquier - 24 euros

  • Azucre - Bibiana CANDIA

    La misère qui frappe la Galice au milieu du XIXème siècle, pousse les jeunes hommes à s'exiler: quand on leur fait miroiter une vie meilleure, un travail avec lequel ils pourront enfin s'enrichir, ils n'hésitent pas à tout quitter et à s'embarquer pour Cuba et ses plantations de sucre. Ils ne savent même pas où se trouve cette île merveilleuse ni ce qu'est le travail du sucre. Un proverbe cubain dit: le sucre se travaille au sang. 


    Après une traversée des plus éprouvante, ils débarquent comme du bétail dans les plantations, cependant les bêtes sont mieux traitées et ce sont des conditions d'esclaves qu'ils découvrent sur place. Pris au piège, nous suivons les traces d'Oreste, de Bigorne, de José dans leur lutte pour retrouver leur liberté.


    D'une écriture sèche et nerveuse, teintée d'une poésie sombre, Bibiana Candia nous raconte l'épopée tragique et véridique de ces jeunes galiciens, candidats pour l'espoir, que l'avidité d'un homme va pousser à l'exploitation criminelle de ses prochains.


    Un roman vrai sur cette poignée d'homme que l'histoire a oubliée mais dont les archives conservent la trace bouleversante.


    Editions du Typhon - 20 euros

  • A la lisière du monde - Ronald LAVALEE

    Matthew Callwood, jeune lieutenant de police rejoint une affectation (qu'il a demandée) dans un coin perdu du Nord canadien à la veille de la Première guerre mondiale. Il débarque dans un village à peine peuplé, où le bâtiment faisant office de caserne et de prison tient plutôt de la cabane de trappeur en ruine et son second semble plus préoccupé de passer de la façon la plus agréable possible, les mois qui lui restent à tirer. Bien décidé à remettre de l'ordre dans la localité sur laquelle il doit veiller, Callwood rêve aussi de mettre fin au trafic d'alcool et maintenir en paix les relations entre Blancs, Autochtones et métis. La tâche s'annonce perdue d'avance: loin de tout et désoeuvré, frustré par l'attente d'une réponse qui ne vient pas de la part de ses supérieurs à qui il demande d'être incorporé aux régiments qui partent en Europe (la guerre vient d'être déclarée en Europe), il décide de partir à la recherche d'un assassin qui aurait tué femme et enfant, une légende dont on chuchote le nom tant il est effrayant: Corneau. Le territoire à fouiller est immense, les conditions climatiques infernales, les moustiques sont des vampires qui rendent les choses encore plus difficiles. D'autant plus que Corneau connaît ce territoire comme sa poche. La traque sera de longue haleine.


    Les paysages sont sublimes, la nature est dangereuse et inhospitalière rendant les hommes eux-mêmes rudes et violents; malgré tout une humanité poignante se dégage de ce roman: Callwood devra se remettre en question plusieurs fois et sortir de son carcan de lois pour tenter de comprendre les hommes qui l'entourent.


    Passionnant de bout en bout, ce roman s'adresse aux aventuriers / justiciers qui sommeillent en nous (mais on évite les frappabords)


    Presse de la cité - 23 euros

  • Les pages - Hugo HAMILTON

    "Là où on brûle les livres, on finit par brûler les hommes". 

    "Là où on sauve un livre des flammes, on finit par sauver les hommes".


    Le personnage principal de ce roman est un livre : "La rébellion" de Joseph Roth. Echappant à l'autodafé nazi de 1933, grâce au courage d'un enseignant, il va passer de mains en mains. En plus de l'histoire qu'il raconte, il renferme dans ses dernières pages, un croquis d'un paysage mystérieux dessiné par l'un de ses lecteurs. Sa dernière détentrice se lance alors dans la quête de ce lieu.


    Roman multiple, c'est aussi l'histoire du couple de Joseph Roth et de sa femme Frieda, des histoires d'amour et de haine et une reflexion sur l'Histoire qui bégaie. Mais avant tout un livre sur la Littérature, son pouvoir et sa magie.


    Phébus - 23 euros.


  • Sweet Harmony – Claire NORTH

    Dans l’univers d’Harmony Meads, la santé, l’apparence physique, les humeurs sont gérées par les nanos. La société Fullife, en proposant des kyrielles d’abonnements mensuels, offre toutes les solutions pour une vie de rêve. Un téléphone portable, une application, et il suffit alors de télécharger par exemple le programme « Voix d’ange » pour obtenir une élocution digne d’une sirène d’Ulysse, « Ma rougeur », pour ne plus trahir ses émotions en maitrisant la pigmentation de sa peau ou de manière plus sérieuse « Sangzen » pour un sang pas trop fluide et éviter ainsi les accidents cardio-vasculaires. La totalité de son existence est donc gérée par la science et la technologie et la surprise d’une mauvaise surprise est donc de plus en plus rare. Alors que signifie ce bouton qui vient d’apparaître sur le menton jusque-là divin d’Harmony ? Théoriquement, avec l’armée mexicaine d’applications qui contrôlent son organisme, c’est tout simplement inconcevable. Mais encore faut-il que les cotisations des différents abonnements soient acquittées et il semble bien qu’Harmony dans sa quête du toujours mieux n’ait pas été très attentive. Pourtant, grâce à son physique de déesse et son mental d’acier, elle fait des merveilles dans l’agence immobilière qui la rémunère suffisamment. Il est vrai cependant qu’elle n’a pas été des plus économe pour aider sa mère suite à ses récents problèmes ou pour répondre aux « exigences insatiables » de son futur mari Jiannis. Ce bouton ne peut être pour elle qu’un signe : le premier grain de sable qui annonce la tempête. Et le petit bouton finalement l’avant-goût de sa déchéance et de son désenchantement ? Est-ce qu’il existe un programme de Fullife contre la panique ?!


    « Sweet Harmony » interroge sur ce qui pousse l’être humain à toujours vouloir donner aux yeux de l’autre la meilleure version de lui-même, ce que le conditionnement et les relations toxiques peuvent produire. Et bien entendu le monde des affaires, toujours aux aguets pour « valoriser » et « rentabiliser » le mal-être et les états d’âme, quitte à les provoquer et surtout les entretenir. 


    On peut donc lire ce très bon titre de Claire North comme une fable, comme un avertissement devant un monde en recherche perpétuelle de contrôle et de perfection, et se dire que l’être humain n’est définitivement pas encore assez sage pour ne pas céder aux sirènes de la vie fantasmée.


    « Sweet Harmony » serait le scénario parfait pour un épisode Black Mirror, cette série télévisée qui nous présente un monde du futur (dont on se rapproche de manière inéluctable, ce qui, il faut avouer est assez perturbant) dans lequel la technologie et l’homme « augmenté » cohabitent, ce dernier perdant petit à petit l’ascendant sur sa création.


    Le Bélial – 11.90 euros


  • Le diable sur mon épaule - Gabino IGLESIAS

    Troisième titre édité en France de Gabino Iglésias, texan d'origine portoricaine, maître du "barrio noir" qui a obtenu le Bram Stoker Prize en 2022.


    Le barrio noir est un sous-genre du roman policier avec des personnages américains, déracinés, d'origine hispanique, mélangeant une profonde noirceur à l'ésotérisme du Vaudou.


    Descente aux enfers au sens propre comme au figuré, d'un homme qui, acculé par les dettes suite à la maladie de sa fille, perd son travail et sa femme, devient tueur à gages pour s'en sortir en mettant ainsi le doigt dans un engrenage infernal où les hommes sont monstrueux et les monstres diaboliques.


    C'est humide, poisseux, étouffant comme doivent l'être les ténèbres...


    Sonatine - 22 euros

    (parution le 01/02/2024)

  • Ce que murmurent les animaux - Virginia MARKUS

    Voici un court récit qui inaugure une nouvelle collection chez Bayard: l i pour littérature intérieure. Et il s'agit bien de littérature en dépit du sujet: la maltraitance animale.

    Virginia Markus a créé l'association Co&xister qui s'occupe de reccueillir des animaux d'élevage initialement destinés à l'abattoir.

    A l'origine de sa prise de conscience et de son engagement, il y a une rencontre qu'elle rapporte en introduction de son livre, une rencontre qui va venir percuter ses convictions et l'amener à passer à l'action. Dans un élevage bio de vaches laitières, elle croise le regard d'un veau de 6 semaines qui va partir à l'abattoir. A la question du pourquoi, l'éleveur répond par une autre question: "Tu manges du fromage?".


    La réponse évidemment soulève le tapis sous lequel nous poussons toutes et tous, ces petits arrangements avec nos consciences qui nous font accepter ou faire semblant d'ignorer la souffrance que nous causons aux animaux d'élevage pour notre alimentation.

    A travers les histoires de quelques animaux non-humains sauvés par l'association installée en Suisse, à travers les rencontres et les discussions que Virginia Markus a engagées avec des éleveurs, ses voisins, elle nous montre qu'une co-existence est possible, qu'un changement peut s'opérer sans violence. Notre comportement doit changer: on ne peut pas continuer à accepter d'être les complices d'une telle hécatombe et de la barbarie. Et on ne peut qu'être ému aux larmes par les histoires rapportées ici: Priya la poule guérisseuse, Ondée la truie inspirante, les chèvres, les vaches, les dindons... des personnalités qui s'expriment quand enfin on leur permet le droit d'être sans avoir à produire.


    Une lecture bouleversante qui nous met devant un choix: celui de "continuer à nous acharner à faire de la Terre un supermarché" en exploitant et en tuant les êtres qui diffèrent de nous ou celui d'apprendre à comprendre en laissant à chaque être vivant, la place qui lui revient.


    Bayard - 14 euros

  • Mary Sidney alias Shakespeare - Aurore EVAIN

    Shakespeare serait-il le nom de plume d'une femme? Telle est la question…


    Mary Sidney, comtesse de Pembroke, est une figure littéraire majeure, bien que peu connue, de l’Angleterre élisabéthaine du XVIème siècle: femme puissante, polyglotte, d’une érudition époustouflante, elle est la première autrice à publier une pièce en Angleterre (Antonius, traduction du Marc Antoine de Robert Garnier). Les traductions sont quasiment les seuls écrits que les femmes avaient le droit de publier sous leur nom, et encore en s'excusant d'oser et en rassurant les lecteurs qu'elle est néanmoins restée une bonne épouse!

     Et nous avons William Shakespeare, célébre auteur anglais dont la biographie obscure et inconciliable avec son œuvre, sème le doute, non sur son existence, mais sur sa capacité à produire de tels chefs-d'œuvre. On a fait beaucoup d'approximations,  d'interprétations autour de ces fameuses années perdues durant lesquelles on ne sait pas ce que ce personnage a bien pu faire. On a même l'impression que les faits ont été distordus pour tenter de coller à la vie d'un obscur acteur de théâtre.


    Partant de ce constat, la chercheuse Robin P. Williams formule une hypothèse : et si Shakespeare était une femme… Cette affirmation est provocante mais chaque assertion est étayée. La démonstration ne manque pas d'humour et les surprises et rebondissements de l'enquête s’appuyant sur les textes shakespeariens eux-mêmes, nous plonge au cœur de la Renaissance: un véritable jeu de pistes sur la vie d’un génie féminin de la littérature. Une lecture réjouissante!


    Talents Hauts - 22 euros

    (parution le 16/02/2024)

  • Le Royaume enchanté – Russell BANKS

    Le narrateur du « Royaume enchanté » a retrouvé des bandes d’un magnétophone contenant le récit d’un homme réalisé au début des années 1970. Il s’agit de Harley Mann, un vieux monsieur de 80 ans, ayant réussi dans l’immobilier qui profite du lancement du nouveau parc Disney en Floride pour se remémorer ses souvenirs de jeune adolescent. Avec sa mère et ses frères et sœurs, après la mort du père de famille, a passé les premières années de sa vie au sein d’une communauté religieuse : les shakers. Cette secte est composée de groupes, menés généralement par deux « aînés » (un homme et une femme) qui prônent la rigueur morale et surtout l’absence totale de relation charnelles entre ses membres, ce qui entraîne forcément des problèmes pour renouveler leurs rangs. En ce début du 20ème siècle, ce sont donc des personnes dans la difficulté telle que la famille Mann qui rejoignent l’organisation en participant aux travaux de la terre en échange du gite et du couvert. Harley qui rentre dans l’adolescence se découvre alors une passion pour l’apiculture, mais cette dernière est sans commune mesure avec celle qu’il voue à Sadie, une belle jeune fille plus âgée que lui mais dotée d’une santé défaillante. Tout comme lui (qui ne devra se prononcer qu’au moment de sa majorité), elle n’a pas prononcé ses vœux pour devenir shakers et la relation qui va naître entre les deux jeunes va venir semer la discorde au sein de la communauté religieuse rigoriste et intransigeante…ou tout du moins qui le prétend.


    Le dernier roman de Russell Banks, décédé il y a tout juste un an, est donc un récit de souvenirs, de nostalgie sur le passage du temps et de son acceptation. Il met en lumière cette communauté shakers, une branche du protestantisme issue des quakers. Un ultime récit pour conclure une œuvre magistrale et qui donne envie de relire les chefs-d’œuvre que sont « De beaux lendemains », « Sous le règne de Bone » ou « Pourfendeur des nuages ».


    Actes Sud – 23.50 euros


    (Parution le 03/01/2024)

  • L'enfant de la rage - Anne BOQUEL

    Un couple, deux enfants, une vie simple et organisée autour d'un foyer solide: certes l'argent ne coule pas à flots mais l'essentiel est pourvu. Cependant pour Yohann, l'aîné, cette vie sans relief ne trouvait guère d'intérêt: il lui a fallu un combat, s'engager dans une résistance, découvrir un sens à sa vie d'adolescent dans un monde qui lui offre un avenir si peu enviable. Sur une terre à peine viable. Il est attiré et bientôt happé par un groupe de zadistes défendant des terres agricoles menacées par un projet écocidaire. Il a seize ans et toute la fougue qu'on peut avoir à cet âge quand on se bat contre une injustice. Pour ses parents, c'est une lubie d'ado rebelle et il ne tardera pas à retrouver le chemin de la raison. Quand les CRS chargent afin de "nettoyer" une zone qu'ils estiment occupée illégalement, ils laissent un corps inanimé dans la boue: celui de Yohann. Pour ses parents et sa petite sœur, commence l'enfer: plongé dans un coma profond, le garçon devient l'épicentre de leurs vies et le catalyseur de leurs émotions contradictoires. Chacun va devoir face à cette situation d'attente sans espoir d'un retour à la vie d'avant: entre culpabilité, besoin de comprendre, envie de vengeance, où se trouve la juste voie?


    Un roman fort qui nous met, nous les parents, les aînés, face à nos responsabilités envers les générations futures. Anne Boquel décortique les sentiments de paternité et de maternité, démontrant que le socle familial est aussi un lieu d'évolution et qu'en réponse à la violence du monde, ce monde dans lequel on a projeté nos enfants, les parents vont devoir s'adapter et accompagner des combats dont les graines ont été semées depuis plusieurs générations. Bouleversant d'humanité et sonnant juste, l'autrice nous plonge au cœur d'une famille percutée par le réel mais aussi, au plus près des quelques lanceurs d'alerte, que les autorités qualifieront d'écoterroristes, qui, au prix parfois de leurs vies, s'évertuent à sauver des bouts de nature et tentent de nous faire ouvrir les yeux sur les menaces d'autodestruction de l'humanité toute entière.


    Robert Laffont - 20 euros

    11/01/24

  • Une sale française - Romain SLOCOMBE

    ...ou de l'inconvénient d'avoir un homonyme en temps de guerre. Aline Beaucaire est alsacienne, elle parle couramment l'allemand et devient citoyenne du Reich du fait de l'annexion de son département par les envahisseurs. Peinant à trouver du travail, ayant un fils à élever alors que son mari est prisonnier de guerre, elle est embauchée comme femme de chambre dans un hôtel munichois. Vive d'esprit, elle s'étonne du va et vient de certains personnages dans cet hôtel. Sa curiosité va la mettre en contact avec les services secrets allemands: si elle ne cherche pas à devenir une espionne, elle tombe amoureuse de l'un d'entre eux et prend à ce moment-là tous les risques pour vivre son amour au grand jour. Elle ne se doute pas que dans l'ombre oeuvre une Aline Bockert ou Bockaert à la date de naissance identique mais dont les activités contre la résistance française en font une traître à la nation.

    Voilà le récit que Romain Slocombe nous fait de la France, plongée dans le chaos dès 1942: chaque camp s'épie de part et d'autre de la ligne de démarcation. Des espions, petites frappes et divers profiteurs cherchent, dans cette période sombre, à tirer leur épingle du jeu: certains pensent avoir de bonnes raisons, la première et non la moindre étant de sauver sa peau ou celles de leurs proches, d'autres ne cherchent que le profit immédiat et distribuer la mort autour d'eux n'est pas un problème. A travers l'histoire d'Aline l'alsacienne, l'auteur, documentation à l'appui, nous fait toucher du doigt la complexité des enquêtes policières et la difficulté de rendre justice quand chaque histoire personnelle est broyée par des intérêts supérieurs. Edifiant et passionnant de bout en bout!


    Seuil - 20 euros

    05/01/2024

  • L’origine des larmes – Jean Paul DUBOIS

    Paul a réussi un exploit : tuer son père une deuxième fois. Alors que ce dernier avait déjà rendu l’âme, il s’est senti obligé de lui mettre deux balles dans la tête. Comme pour s’assurer que son géniteur ne pourrait pas revenir le hanter. La justice a déjà connu ce type d’affaire, il existe notamment la jurisprudence Perdereau soulevant la question de droit épineuse : un individu qui exerce des actes de violence sur un être humain dans l'intention de lui donner la mort et qui ignore que cet être humain est déjà mort est-il l'auteur d'une tentative d'homicide volontaire ? Dans le cas de Paul, il sera établi que son action a été délibérée et qu’il ne pouvait ignorer que son père était déjà mort donc il se retrouve condamné à une année de soin auprès d’un psychiatre afin de mettre des mots et des explications sur son acte. Le roman va donc s’organiser sur ses rencontres pendant lesquelles nous allons comprendre petit à petit les ressentiments que Paul a pu développer au fil du temps.

    Le nouveau Jean Paul Dubois est peut-être moins porté sur l’humour (quoi que le comique de répétions avec une histoire de larme fait son petit effet…) mais en tout cas son livre est résolument accès sur les dommages psychologiques que peuvent entraîner une relation qu’il serait de bon ton à notre époque de qualifier de toxique. Le père de Paul excelle en effet dans le comportement négatif et destructeur envers son entourage et qui plus est envers son propre fils.


    L’origine des larmes est donc le récit d’une vengeance post-mortem, l’expression d’un enfant devenu adulte mais qui ne s’est jamais remis des agissements de son père, qui plus est dans un contexte familial particulier que nous vous laissons découvrir. Une situation qu’on peut qualifier d’handicapante pour Paul victime des comportements tyrannique, manipulateur et pervers de son père, qui l’ont profondément marqué et influencé dans ses rapports aux autres


    Ce roman va donc chercher dans les profondeurs du conscient et de l’inconscient et démontre s’il en est besoin des difficultés pour se construire, voire se reconstruire après avoir été malmené que ce soit durant son enfance et même une fois à l'age adulte.


    Editions de l’Olivier – 21 euros

  • Baumgartner – Paul AUSTER

    Dans la même veine que le roman « Oh, canada » de Russel Banks paru il y a deux ans, l’auteur américain Paul Auster dépeint lui aussi un homme âgé qui revient sur son passé et les moments qui l’ont forgé. Ainsi Sy Baumgartner évoque à travers ses lignes sa rencontre avec la femme de sa vie, Anna, disparue tragiquement dix ans plus tôt. Il est également question de rapport à l’autre, à la façon de continuer malgré le sentiment de perte, la façon de gérer sa carrière de professeur de philosophie à Princeton qu’il ne voit plus de la même façon. Sy évoque tout cela avec nostalgie bien sûr mais aussi un certain détachement comme pour signifier que le passé reste inamovible contrairement au présent et au futur sur lesquels il est encore possible d’avoir quelques prises. C’est ainsi qu’il va avoir à cœur de rendre hommage, voire même réhabiliter certains écrits d’Anna qui n’ont peut-être pas eu toute la reconnaissance qu’ils méritaient.


    Baumgartner est donc un roman emprunt de nostalgie sans pour autant sombrer dans le larmoyant, même si certains passages sont tout de même assez poignants. Il aborde la notion de deuil, le syndrome du membre fantôme, l’impression que l’autre est toujours là, comme s’il était possible de conserver les liens noués entre ces deux êtres. Paul Auster parsème très certainement son récit d’éléments autobiographiques, comme le passage à Paris de Sy, la vie du jeune couple dans un New York en ébullition ou le rappel sur les parents et grands parents immigrés. 


    Le dernier court roman de Paul Auster (à peine deux cents pages) est donc un condensé de sentiments ambivalents, abordant tour à tour la douleur de la perte et de l’absence, le plaisir de la séduction, la vie qui continue malgré tout.  Son style est toujours aussi agréable et les premières pages durant lesquels nous assistons aux réelles difficultés de Sy un peu perdu dans sa cuisine démontre que l’humour peut aussi être du voyage dans ce roman axé sur l’émotion, le travail de deuil et la façon de rendre hommage à l’être aimé.


    Actes Sud – 21.80 euros

  • Une saison à Montparnasse - Colin THIBERT

    Gabrielle Bertholon, fille de soyeux lyonnais, a passé des années dans un couvent à Roanne: tenue éloignée de ses frères aînés et de sa famille, on accueille assez froidement son retour dans le giron familial après la guerre. Seul son oncle, homme d'église, lui témoigne un peu d'intérêt et c'est avec son soutien, et sous surveillance, qu'il installe la jeune femme dans un appartement parisien: libre à elle de prendre des cours pour développer son talent d'artiste peintre. Son caractère indépendant et sa franchise toute provinciale sont appréciés et rapidement, elle s'intègre au monde des cafés, des bals et des ateliers: elle découvre une existence d'une liberté insoupçonnée et, sous l'œil inquisiteur de Mme Enest la concierge, personnage haut en couleur, se met à fréquenter une prostituée androgyne. Mais ces amours sont dangereuses, jugées comme déviantes: la famille commence à s'inquiéter des éventuelles conséquences liées à la vie dissolue de cette fille ingrate qui a refusé de se marier et de rester à sa place. Un scandale mettrait l'entreprise en péril.


    Un détective privé est engagé, chargé d'apporter des preuves quant aux mœurs dissolues des deux femmes. Gabrielle va payer son audace et son émancipation au prix fort: privée de tout ce qu'elle a de plus cher, retenue contre son gré, elle va devoir faire preuve d'une résistance et d'une force de vie exceptionnelle pour retrouver le chemin de la liberté et voir enfin son talent récompensé.


    Colin Thibert retrace avec brio le parcours d'une jeune femme têtue, refusant les concessions considérées comme la norme en ce début de XXème siècle; un roman inspiré d'archives familiales de l'auteur, concernant un grand-père directeur d'une clinique psychiatrique en Suisse et d'une grand-tante restée vieille fille et très libre.


    Editions Héloïse d'Ormesson - 20 euros (parution le 03 mars 2024)


  • Corps de ferme Agnès DE CLAIRVILLE

    Les narrateurs du nouveau roman d'Agnès de Clairville sont les animaux de la ferme: elle nous place dès les premières pages dans la peau d'une vache. Elle nous raconte son quotidien rythmé par l'horloge humaine: la traite, le pré, la nourriture mais surtout la douleur, la solitude, l'incompréhension des gestes brutaux. Et de la brutalité, nous allons en subir tout au long de cette histoire.


    Un roman noir, un roman qui raconte le lait et le sang, la boue et la merde, les larmes et les silences. Un roman dans lequel plusieurs voix se font entendre et le tour de force c'est que nous, lecteurs, nous les entendons ces voix animales, nous vivons leurs souffrances et leur désespoir contrairement au fermier et à sa femme qui n'entendent plus rien. Ils sont aveugles et sourds, incapables de prendre du recul tant les tâches quotidiennes les enchaînent dans une immédiateté et une routine héritée des générations précédentes.


    Dans ce monde grouillant, gueulant, il faut sans cesse nourrir, nettoyer, traire, recommencer. Le fils aîné a tôt compris qu'il n"échapperait pas à son destin et que la ferme lui reviendra: il s'y résoud non sans amertume, déployant une violence à l'égard de son frère cadet et à l"égard des animaux qu'il tient pour responsables d'un avenir qu'il n'a pas choisi.


    Et c'est une descente aux enfers qu'Agnès de Clairville nous donne à vivre: animaux domestiqués mais enfermés, piégés, contraints, battus, ignorés et, pour finir, envoyés à l'abattoir ou éliminés sur place. C'est par le prisme des bêtes (chat, vache, veaux, chienne, cochons) que le lecteur découvre la vie de cette famille, perspective à la fois dérangeante et fascinante: animaux exploités par des hmains esclaves de leur propre vie.


    Malgré tout, l'autrice ne se pose jamais comme l'avocate du bien-être animal; elle se contente d'observer et de ressentir, en cela, son texte est d'une puissance incroyable, d'une noirceur visqueuse et on est pris de vertige face à ses vies sans issues. Rien ne différencie plus humains et animaux: les peurs, les douleurs sont les mêmes, les mensonges restent eux, le propre de l'homme.


    Une formidable fiction, d'une audace folle, et dont l'écriture vous emporte dès les premières lignes: chaque animal parle sa propre langue, avec une poésie et une structure différente.  On devine que l'autrice a beaucoup observé et étudié pour être au plus proche des émotions de chacun: chien et chat plus intimement liés à l'être humain, vache plus éloignée mais que  la maternité rapproche de la femme. Ce n'est pas "La ferme des animaux", ce n'est pas une fable animalière, c'est le récit d'un corps qui vit, qui meugle, qui saigne, qui geint, une spirale infernale dont personne ne sort indemne, le lecteur pas moins que les personnages.


    Harper Collins - 19.90 euros

  • Le banquet des empouses- Olga TOKARCZUK

    En 1912, Mieczyslaw, jeune polonais, est envoyé par son père dans un sanatorium d'une région montagneuse de Silésie. L'air pur, une nourriture saine devraient lui permettre de recouvrer la santé. Il est hébergé dans une pension pour messieurs: alors qu'il essaye de s'intégrer au groupe de curistes, d'étranges sensations l'assaillent. L'ennui règne et les discussions s'éternisent, arrosées de rasades de l'alcool local aux arômes de champignon. Ils débattent d'un unique sujet: les femmes. Les discours misogynes contrarient les empouses, narratrices de ce roman, immortelles et infernales héritières de la déesse Hécate.


    Face à leur courroux, le jeune Mieczyslaw devra s'extirper de sa torpeur et choisir son avenir.


    L'autrice nous prend au piège d'une histoire inquiétante, glissant malicieusement les propos machistes de l'époque pour mieux déconstruire les schémas de domination: les identités complexes se dévoilent jusqu'au final fracassant.


    Noir sur blanc - 23 euros

  • Odyssée des filles de l'Est - Elitza GUEORGUIEVA

    Après "Les cosmonautes ne font que passer" dans lequel l'autrice nous racontait la fin de la Bulgarie communiste des années 80, Elitza Gueorguieva retrace dans ce deuxième roman, les trajectoires de deux femmes bulgares qui n'avaient rien d'autre en commun que cette nationalité. L'une est une jeune femme étudiante en cinéma, peinant à comprendre les subtilités du français, l'autre est une femme d'une quarantaine d'années, prostituée non volontaire mais n'ayant pas d'autres choix sauf celui de s'émanciper de son proxénète. Cette quête de liberté dans le pays des Lumières est semée d'embûches, à commencer par la langue. Et ce cliché "filles de l'Est", que recouvre-t-il dans l'imaginaire et les fantasmes des français? Qui sont toutes ces femmes?


    La rencontre improbable entre les deux personnages que tout sépare va permettre à l'étudiante (double de l'autrice) de comprendre qu'elles ont toutes en commun l'expérience de l'exil et la violence institutionnelle et sociale et qu'elles se sont donné une mission: devenir libre.

    Entre amitiés et désillusions, le récit que l'autrice parsème d'humour et d'autodérision, est surtout le portrait d'un pays peu accueillant qui souffre du manque d'ouverture d'esprit, enfermé dans un langage qui sera pourtant l'outil d'émancipation de ces femmes...si elles parviennent à en déjouer les difficultés à coup de dictionnaire. Mais certaines expressions résistent à tout, et les jeux de mots et quiproquos éclairent d'un éclat de rire ces pages dont la noirceur est inversement proportionnelle aux pensées folâtres et optimistes du ton voulu par l'autrice.


    Roman sur l'exil, l’inconnu, les images et le langage mais aussi sur la violence des états et les mouvements de solidarité et de sororité. Evoquant ce que le gouvernement communiste bulgare et son processus de régénération de la minorité turque a asséné aux populations,  Elitza Gueorguieva  raconte sans détours les conditions des travailleuses du sexe, les méandres administratifs de demandes de séjour en France.


    Verticales - 17 euros


  • Mon oncle d'Australie - François GARDE

    Quelle sombre histoire de famille a bien pu pousser à l'exil un jeune homme d'à peine 20 ans? En 1900, il embarque pour  l'Australie et ne donnera plus jamais signe de vie. La famille et en particulier ses parents, ne prononcent plus le prénom de Marcel: c'est donc qu'une faute impardonnable a été commise.


    Faute d'archives familiales, François Garde, qui ne manque pas de talent pour inventer des destinées aux personnages du passé, fait revivre cet oncle, parti aux antipodes de sa Provence natale. L'auteur de « Ce qu’il advint du sauvage blanc », nous plonge dans le récit du déracinement de ce jeune homme, une deuxième naissance dans un univers inconnu, seul et sans soutien, un récit précis jusque dans le détail des sensations, un récit qui nous campe un Marcel en aventurier sympathique et débrouillard, un ancêtre digne d'admiration en dépit de la faute à l'origine de son bannissement. Seulement, ce portrait n'est pas réel.

    Les archives finiront par délivrer le secret de ce personnage que les multiples couches de silence de la famille avaient fait disparaître: en reprenant pas à pas la saga familiale et avec beaucoup de délicatesse, cent vingt ans après, le petit-neveu percera le mystère du mouton noir.


    L'écrivain nous entraîne habilement dans les branches d'un arbre généalogique tronqué, à la recherche de cet oncle d'Australie, dans les méandres d'une histoire familiale dont on comprend que le secret, comme le caillou lancé dans la mare, engendre des cercles concentriques qui affectent les destins des générations suivantes.


    Grasset - 20 euros

  • Les fils de Shifty – Chris OFFUTT

    Voici le deuxième roman de Chris Offutt avec pour personnage principal Mick Hardin, vétéran d’Afghanistan, qui se remet d’une blessure auprès de sa sœur Linda, shérif de Rocksalt dans le Kentucky. Nous avons déjà croisé ces protagonistes dans le titre « Les gens des collines » et le moins que l’on puisse dire, c’est que la vie n’y est pas des plus tranquille. Pour Linda tout d’abord, qui doit se démener et faire preuve d’une grande sagesser afin d’envisager sereinement sa réélection en sachant caresser la population dans le bon sens (et ne surtout pas s’exprimer comme elle a l’habitude de le faire avec une bordée de jurons). Pour Hardin, en plus d’une procédure de divorce à gérer et une jambe toujours récalcitrante, il va être sollicité par Shifty Kissick, une dame âgée qu’il connait depuis longue date. C’est son fils, modeste dealer local, sans envergure et ne représentant pas un grand danger pour grand monde si ce n’est lui-même, qui vient d’être retrouvé mort dans un coin sombre de la bourgade. Hardin va donc devoir retourner fouiner dans les collines et il va vite comprendre que la mort de « Fuckin’Barney » n’est qu’une mise en scène, une tout autre histoire qu’un simple règlement de compte entre petites frappes locales…


    Toujours un plaisir de retrouver Chris Offutt et ses romans se déroulant dans une Amérique rurale, ou la communauté repose sur un code moral qui donne lieu à des largesses quant à la justice et la façon de l’appliquer. Au menu de l’action, une description méticuleuse d’une petite ville américaine et de ses rouages et surtout beaucoup d’humour (en parlant d’un des personnages un peu simplet de l’histoire : « ce gars là est un barrage à qui il manque une rivière »).   


    Gallmeister – 23.50 euros

  • Flamboyant crépuscule d'une vieille conformiste - Emmanuelle PIROTTE

    "Je m'appelle Dominique Biron et j'ai décidé de mourir dans trois jours. C'est le temps qu'il a fallu au Christ pour revenir d'entre les morts, ça me suffira pour faire mon petit ménage."

    Le ton est donné. Dominique a 81 ans, on vient de lui annoncer que le grand oubli, ça commence maintenant, elle n'a pas envie de s'éterniser et d'imposer sa déchéance progressive à sa petite-fille qu'elle adore. Elle s'attaque à faire le tri de ses souvenirs comme de ses bibelots et le constat est accablant: son existence étriquée de petite bourgeoise rongée d'ennui et d'orgueil l'a fait passer à côté de sa vie. Elle s'en veut de n'avoir pas été une mère plus aimante et plus tendre avec ses enfants mais comment agir quand on a été formatée dès la naissance à ce rôle de maîtresse de maison, aux apparences si impeccables qu'on détournerait presque le regard des photos trop parfaites.


    Pour cette dernière partie de sa vie, Dominique choisit la liberté et si elle devine que malgré ses dernières volontés, elle n'aura pas la musique de Kurt Cobain à son enterrement, elle va au moins décider du jour et de la façon dont elle va partir.

    Cette confession lucide claque comme un grand courant d'air: si les mots sont implacables, ils ne sont néamoins pas dénués d'une tendresse brute et touchante.


    L'autrice interroge sans concessions les controverses de notre époque et le voile pudique qu'on pose sur la vieillesse et la solitude, la maladie et son accompagnement si peu humain et notre rapport à la mort. Le portrait d'une femme qui bouscule et pousse à la réflexion. Et laissez votre tristesse au placard avec les vieilles godasses, quand on a choisi sa vie, même si on n'a pas fait les bons choix, il arrive un moment où il faut savoir tirer sa révérence!


    Le cherche midi - 18.50 euros

  • Le sang des innocents – S.A COSBY

    Titus Crown, ancien agent du FBI, est revenu vivre à Charon, la petite ville de son enfance, pour y exercer la fonction de shérif. Titus est noir et ceci, même au 21ème siècle, dans le sud des Etats-Unis, représenter l’autorité alors que l’on n’est pas blanc, certaines personnes ont toujours beaucoup de mal à le supporter et surtout à l’accepter. Titus doit donc composer avec cette situation en se montrant d’autant plus juste et intègre, ce qui représente une belle évolution aux vues de ce que pratiquait l’ancien représentant de la loi, pourtant d’une blancheur incontestable. Ne se faisant pas beaucoup d’illusion quant aux missions qu’il allait accomplir, après avoir connu l’élite des affaires au sein du FBI, Titus s’attendait surtout aux fins de soirées arrosées et aux conflits de voisinages bien anodins à solutionner. Ce qui va lui tomber dessus est d’une toute autre gravité : une fusillade au sein même du lycée de Charon. En cause, Lattrel, un jeune noir qui va abattre le professeur Spearman, un enseignant adoré de tous et ayant marqué des générations d’élèves. Lattrel va être intercepté par l’équipe de Titus et les gros problèmes vont débuter pour deux raisons : ce sont deux policiers blancs qui vont mettre fin à la folie meurtrière de Lattrel (lui ont-ils au moins laissé une chance de se rendre ?) mais avant d’être mis hors d’état de nuire, ce dernier va tenir des propos haineux et dérangeants qui vont fortement interpeler Titus. Spearman cachait-il une double identité, excellent professeur la journée et monstre une fois le soir venu ? A Charon en tout cas, le mal est fait puisque l’affaire va être l’occasion de raviver les tensions entre communautés et ramener à la surface des éléments que certains ne voulaient surtout pas voir réapparaitre.


    Après « les Routes oubliées » et « La colère, le sage », S. A Cosby, né en Virginie, nous propose une intrigue aux multiples rebondissements, se déroulant dans ce sud des Etats-Unis qu’il connait bien : une région toujours habitée par des relents de racisme et où les mentalités ont bien du mal à évoluer. Sur fond de potentielle bavure policière et de faux semblants, le personnage de Titus Crown se révèle comme une personne posée, cherchant le consensus et l’apaisement, une sorte de sage doté de qualités relationnelles supérieures. Mais, pourquoi alors avoir quitté le FBI pour se retrouver shérif d’une modeste ville ? Titus Crown lui aussi nous révèlera une face cachée et des secrets profondément enfouis…


    Sonatine – 23 euros 


    (Parution le 11 janvier 2024)

  • La maison noire – Yûsuke KISHI

    Après le terrifiant « La leçon du mal » paru en 2023, Yûsuke Kishi continue son voyage dans l’horreur. Son nouveau personnage principal s’appelle Shinji Wakatsuki et travaille dans un cabinet d’assurance. Autant dire rien de très glamour, et en ce milieu des années 90, en plein Kyôto, Wakatsuki n’est pas au comble de l’épanouissement. Son activité consiste à « dénouer » les contrats d’assurance vie, c’est-à-dire réunir les pièces et vérifier les éléments pour que les bénéficiaires des contrats perçoivent l’argent qui était prévu. Mort « naturelle », accident, suicide, son quotidien nécessite bien les doses d’alcool qu’il s’accorde le soir pour dormir. Un jour, il reçoit un appel particulier. Son interlocutrice lui demande si le suicide est bien couvert dans le cadre de son contrat. Inquiet, Wakatsuki échange avec la personne, évoque même sa vie personnelle, ayant lui aussi connu le suicide d’un proche en la personne de son grand frère lorsqu’il avait 9 ans. Il agit cependant avec professionnalisme et rigueur comme l’exige sa profession et la vie continue. Sauf que quelques jours plus tard, il est réquisitionné pour se rendre chez un client chez lui, dans ce qui deviendra « la maison noire ». A l’intérieur, le corps d’un enfant de douze ans. Pendu. Alors suicide ou meurtre ? Et quel impact sur le contrat d’assurance vie ?

    Yûsuke Kishi est obsédé par le mal. Le mal qui habite chacun d’entre nous potentiellement mais surtout celui dont sont dotés de manière pratiquement paranormale les personnages qui hantent ses romans. Il se plait à allier le côté très « formaté » de la culture japonaise aux plus profondes failles de l’âme humaine et aller puiser si possible dans la noirceur la plus absolue. Et quoi de mieux pour cela que réunir la mort d’un enfant, l’argent, la cupidité, l’avidité, et pour couronner le tout le sentiment de culpabilité ? Le mélange est assez corsé, non ?


    La maison noire est donc l’histoire d’un modeste assureur qui ne pouvait imaginer ce qu’il allait devoir gérer. Non pas seulement un simple contrat d’assurance vie mais des êtres humains avec leurs propres logiques, failles et turpitudes. Une chose est certaine : Wakatsuki se posait des questions quant à son métier. Avec cette affaire, il n’est pas dit qu’il ait l’occasion d’y faire une grande carrière…ou tout du moins une très longue…


    Belfond – 22 euros 


    Parution le 01/02/24

  • Du même bois - Marion FAYOLLE

    Dans ce court roman, Marion Fayolle nous immerge dans les pensées de "la gamine": élevée dans la ferme familiale, elle porte un regard d'une lucidité et d'une profonde vérité sur les êtres qui l'entourent. En premier lieu, le pépé et la mémé, qui ont  eux-mêmes hérité de cette longère: ils vivent à une extrêmité de la bâtisse, avec le frère du pépé, un attardé mental. De l'autre côté, la mère et sa gamine, et entre les deux habitations, l'écurie qui les lie plus qu'elle ne les sépare. Les bêtes font partie intégrante de la famille: à vivre tout contre elles, on sait décrypter leurs signaux.

    D'une langue poétique et imagée (il faut lire le chapitre sur les petitous qui sont des petits tout), l'autrice retrace l'histoire de cette ferme, de son déclin et des personnages qu'elle abrite. Chacun tente de faire sa place sans comprendre qu'ils font partie d'un tout qui les dépasse, et que, malgré les hommes, la nature aura le mot de la fin. Magnifique!


    Gallimard - 16.50 euros

    04/01/2024

  • Le prince de Kalmoukie - Marie DUMEURGER

    C'est l'histoire vraie d'un français prénommé Serge, recherché par tout un peuple, comme leur dernier prince vivant. 


    Serge est en effet le descendant de Danzan Toundoutoff, russe blanc opposé à la révolution bolchévique, représentant du peuple Kalmouk.  La Kalmoukie est un pays surprenant, seul étât bouddhiste d'Europe, situé entre mer Caspienne et mer Noire, aux paysages désertiques et récemment dirigé par un fou d'échecs qui a voulu en faire la capitale internationale de ce jeu. 


    Marie Dumeurger va suivre les péripéties du retour au pays originel de Serge et à travers ses érrances et ses égarements, c'est un peu la Russie actuelle qui nous est contée.


    Marchialy - 21.10 euros

  • Léonie B. – Sébastien SPITZER

     Léonie d’Aunet, (mariée au peintre Biard, le B du titre), est une femme intrépide. A peine âgée de vingt ans, elle intègre, contre l’avis de beaucoup d’hommes, une expédition scientifique qui va la mener au Spitzberg, cette île située dans la mer du Groenland. Elle va devoir affronter les conditions climatiques désastreuses, tout comme le comportement d’un membre de l’équipage, se montrant plus qu’entreprenant à son égard. Une fois rentrée, elle va faire la connaissance d’un tout récent pair de France, ayant de nombreux admirateurs mais également de farouches détracteurs notamment politiques : Victor Hugo. De dix-huit ans son ainé, ce dernier dont la réputation d’insatiable séducteur le précède (son épouse officielle Angèle et sa maîtresse qui l’est tout autant Juliette Drouet, entre autres, ne lui suffisant manifestement pas…) va donc entretenir une liaison avec la jeune fille, tout juste mère. Son destin va définitivement basculer la nuit du 5 juillet 1845, dans un hôtel du 1er arrondissement de Paris, lorsqu’après dénonciation, les deux amants vont être surpris en flagrant délit d’adultère. Il sera beaucoup plus facile à Victor Hugo de se relever de l’incident que Léonie qui va se retrouver emprisonnée et mise au banc de la société. 


    Léonie B peut être qualifié de roman historique puisqu’il reprend la chronologie des parcours de Léonie D’Aunet et Victor Hugo. On assiste donc à la mise en parallèle de deux destins, la vie de Léonie bouleversée, la place de la femme déjà fortement minimisée (impossible de divorcer si le conjoint homme n’en est pas à l’initiative) l’empêchant de suivre le cours de sa vie à sa guise. Malgré tout le côté sordide de l’histoire, c’est tout de même d’une véritable histoire d’amour dont il est question, Victor Hugo s’étant appuyé sur sa relation avec Léonie pour l’inspiration de poème et même d’un roman. Et quel roman. En effet, on peut retrouver dans les Misérables, des épisodes (un jeune garçon vivant dans une statue d’éléphant…) des personnages (« Thénard », un opposant politique détesté et détestable), des éléments sociétaux (le travail des enfants, les problèmes de santé liés au plomb) mais aussi le cheminement intellectuel de l’auteur (qui l’amènera un jour à présider la ligue française pour le droit des femmes), qui sont issus de cette période importante de sa vie.


    Un roman fortement recommandé à tout lecteur amateur de Victor Hugo bien sûr mais aussi à la recherche d’un personnage historique féminin fort (bien que peu connu) qui a eu le mérite de se relever, allant même jusqu’à entreprendre une carrière littéraire. Un ouvrage qui démontre également la difficulté d’être une femme au 19ème siècle au sein du milieu intellectuel, empreint de machisme et de patriarcat dont l’incontestabilité tend au délétère. 


    Albin Michel – 21.90 euros

  • On m’appelle Demon Copperhead – Barbara KINGSOLVER

    Ce roman est plus qu’un hommage, c’est une retranscription à l’air moderne de David Copperfield de Charles Dickens. Au début des années 2000, dans l’est des Etats-Unis, un jeune garçon est plongé dans un monde bien hostile : un entourage plus que défaillant, son père est mort et sa mère va vite fait preuve d’une plus grande habilité à se droguer et devenir une vraie junkie plutôt que développer tout instinct maternel. Elle passe ainsi beaucoup de temps en centre de désintoxication (sans réel effet) et Demon trouve un certain réconfort auprès de la famille Peggot. Eux aussi fortement impactés par le destin et devant se battre contre leurs propres diables, ils ne pourront pas grand-chose lorsque la mère de Demon fera encore des siennes et qu’il devra être placé en famille d’accueil. Et le long chemin de croix de l’enfant va alors prendre une tournure encore plus compliquée…


    Le roman de Barbara Kingsolver aborde donc frontalement le placement et surtout le suivi des services de protection de l’enfance dans une zone plus que sinistrée. Les Appalaches est une région ravagée par les opioïdes, l’auteure critique donc ouvertement les laboratoires pharmaceutiques et les structures qui prescrivent trop facilement les dangereuses ordonnances qui alimentent un circuit parallèle, exacerbé par la misère sociale, la paupérisation de la société, provoquant la dépendance de milliers de personnes victimes de leur addiction mortifère.


    « On m’appelle Demon Copperhead » est donc un roman très sombre dans lequel il existe heureusement de beaux moments d’humanité et l’histoire de ce petit garçon peut être lue comme celle d’un être fortement désillusionné par la vie mais qui s’accroche coûte que coûte, se heurtant frontalement à une destinée qu’il choisit cependant d’affronter éperdument. 


    Albin Michel – 23.90 euros

  • Le pion – Paco Cerda

    Arturo Pomar n’est pas le joueur d’échec le plus célèbre. Il a cependant connu son moment de gloire au milieu des années 1940, considéré alors comme un prodige espagnol qui a participé et gagné des parties internationales alors qu’il était seulement âgé d’une dizaine d’années. Dans le roman de Paco Cerda, il est donc question de Pomar mais aussi de Bobby Fischer, le fantasque et génial joueur américain, et de la partie qui les a opposés en 1962. A cette époque, Arturo n’est plus en haut de l’affiche, rentré dans le rang, et Bobby quant à lui est petit à petit en train de sombrer dans la noirceur et la folie qui l’accompagneront jusqu’à la fin de sa vie. 


    Au-delà des mouvements et de l’intérêt de la partie, le roman intercale la Grande Histoire sous forme de courts récits abordant la politique, la géopolitique, la société, ce qui se passe dans le monde à partir de la fin du second conflit mondial. On retrouve ainsi des histoires faisant référence au franquisme, à la résistance, à la guerre froide et aux atrocités réalisées en son nom, des idéaux et mouvements sociétaux venant se noyer dans la société de consommation triomphante. 


    Le pion est l’une des pièces qui est le plus abordée dans le roman, comme pour insister sur sa simplicité apparente, sa modeste capacité de déplacement sur l’échiquier et pourtant le rôle primordial qu’il peut avoir sur l’issue de la partie par sa capacité de dévouement et de sacrifice. Et comme le disait Bobby Fischer : « les échecs, c’est la vie » et on ne peut que s’en rendre compte par celle des personnages que Paco Cerda a choisi de mettre en avant dans son roman, comme un hommage aux oubliés de l’histoire et souvent de leur destin brisé.   


    Editions La contre allée – 11.50 euros.

  • Wayward Pines épisode 1 : Révélation – Blake CROUCH

    Ethan Burke se réveille d’un mauvais rêve qui n’en est pas un. Il vient d’avoir un accident de voiture et se retrouve dans la petite ville de Wayward Pines, un petit coin de l’Idaho qui parait touché par la grâce : de jolies maisons avec de jolis jardins, des paysages de montagne enchanteurs, des habitants souriants et des enfants qui jouent. Cependant, rapidement, Ethan se rend compte qu’il y a quelque chose d’étrange dans ce paradis. Tout est trop parfait et dans ce cas, comment se fait-il qu’il ne parvienne pas à joindre sa hiérarchie et sa propre famille restée à Seattle ? Car s’il y a bien quelque chose dont se souvient Ethan, c’est qu’en tant qu’agent des services secrets, il avait été chargé de la mission de retrouver deux agents mystérieusement disparus. De plus, récupérer ses effets personnels paraît aussi impossible, Ethan se retrouvant baladé entre le service du shérif et le personnel médical. De guerre lasse, il se rend dans le bar de la localité, et fait la connaissance d’une barmaid qui lui semble moins ambivalente que ses concitoyens. Pour preuve, avant de quitter l’établissement, elle lui laisse un mot contenant une seule information : 604 premier Av. Une adresse qui va dramatiquement changer le cours de la vie d’Ethan.


    Premier tome d’une trilogie, Wayward Pines épisode 1 : Révélation peut être considéré comme un hommage appuyé à la série Twin Peaks de David Lynch sortie au début des années 90. Il se dégage du thriller concocté par Blake Crouch une atmosphère qui se rapproche du chef d’œuvre télévisuel avec un mélange d’Amérique éternelle sur fond de personnages stéréotypés (le shérif, le tenancier de bar, l’infirmière en chef) au service d’un thriller où les repères sont rapidement perdus. Tout comme Ethan, il est bien difficile de savoir ce qui se trame réellement, qui sont les bons et les mauvais, voire même s’il existe encore une notion de bien et de mal à Wayward Pines.


    Jusqu’aux dernières pages dans lesquelles tout nous est expliqué…ou tout du moins ce qui peut l’être avant le second tome ! Vite, vite, vite !


    Gallmeister – 7.90 euros

  • Délivrez-nous du bien – Joan SAMSON

    « Le discours de la servitude volontaire » de La Boétie date du milieu du 16ème siècle et évoque les raisons da la soumission d’une population à l’autorité et interroge sur la légitimité de cette dernière. Quatre siècles plus tard, rien n’a changé. La preuve, dans une paisible communauté du New Hampshire, où le concept va être mis en pratique. La famille Moore, de modestes habitants de la localité, vivant pratiquement de manière auto-suffisante, voit débarquer à leur porte un jeudi, le shérif de la localité accompagnée d’un homme sortant de nulle part, Perly Dunsmore. Cet auto-proclamé commissaire-priseur, propose de mettre en place un système d’enchères publiques afin de financer la police locale et assurer ainsi le calme et la tranquillité de la petite ville, qui n’est pourtant pas des plus agitée. Mais quand on parle sécurité et protection, il est toujours possible de trouver quelque chose à donner, chacun possède un bien qui ne sert plus à rien et qui dort quelque part. Le jeudi suivant, après une première expérience concluante, la nouvelle visite de Perly et de son acolyte armé n’est pas surprenante. Soit. Lors de la troisième, on commence à se gratter la tête avant de trouver un objet susceptible de correspondre aux attentes ; la quatrième, ce n’est même plus Perly qui se déplace mais les personnes qui ont été recrutées grâce aux fonds collectés. Et ces derniers savent se montrer persuasifs pour qu’on donne encore quelque chose, même si finalement on tenait plutôt aux objets qui vont partir. Et puis on commence à entendre parler d’accidents, de disparitions…souvent chez des personnes qui ne voyaient pas les enchères publiques de très bon œil. Cela tombe d’autant plus mal que chez les Moore, on n’a plus grand-chose à donner et que pourtant il va bien falloir le faire. Et peut être que la prochaine fois, ce sera encore plus compliqué…alors que faire ?


    On peut lire « Délivrez-nous du bien » comme un conte moderne sur ce que les concepts de sécurité, de tranquillité face à des menaces potentielles, même plus qu’improbables, peuvent provoquer dans une population qui est obnubilé par la peur, celle du déclassement, de l’autre, de la différence. Les quêtes du bien-être et du profit ne sont pas incompatibles mais peuvent entraîner vers la catastrophe des personnes qui laisseraient leur conscience engluée entre les deux, laissant la voie libre à des individus sans scrupules, se cachant derrière la vertu pour mieux manipuler les foules. 


    La soumission est bien souvent la solution de facilité mais comme l’indique l’éditeur sur la quatrième de couverture, « jusqu’où exactement peut-on céder ? »


    Toussaint Louverture – 16.50 euros


  • Papa, qu'est-ce qu'on a fait au Rwanda? La France face au génocide - Laurent LARCHER

    Génocide, le mot a mis du temps à émerger dans les discours, pourtant on ne peut pas qualifier autrement le massacre d'un million de tutsis par leurs concitoyens hutus au printemps 1994. Laurent Larcher, journaliste, reprend la chronologie des événements pour adresser à sa fille une lettre, une exposition des faits: comment parler, à la veille du trentième anniversaire, de ce drame aux jeunes générations.


    La justice française a condamné, le 19 décembre, un ancien médecin rwandais pour son implication dans l'extermination des Tutsis. Si la France tente aujourd'hui de rendre justice, elle a aussi aidé et soutenu, dans les années 90, le régime qui préparait ce génocide. Comment, pour la deuxième fois de son histoire après la Shoah, la France a été associée à une extermination?


    À travers les histoires de Anne-Clarisse, Étienne et Issa, des jeunes gens qui ont vécu cette période terrible et qui ont eu la chance de s'en sortir mais à quel prix. Ces témoignages glaçants sont autant de raisons de ne pas oublier, de transmettre et de prévenir: on avait juré "plus jamais ça" au lendemain de la seconde guerre mondiale, mais les tractations dans l'ombre et les petits arrangements entre amis ont conduit, dans l'indifférence générale, à l'horreur. Il est plus que jamais nécessaire de ne pas effacer ces traces de nos mémoires et d'alerter les jeunes esprits en leur intimant de rester vigilants. Toujours.


    Seuil - 17 euros

  • Birnam Wood – Eleanor CATTON

    Birnam Wood est le nom d’une petite communauté de maraîchers activistes Néo-Zélandais établie dans la ville (fictive) de Thorndike, proche d’un parc national protégé. Ces jeunes, les plus âgés sont trentenaires, profitent (de manière illicite) de terrains laissés à l’abandon ou non exploités pour y faire pousser légumes et produits susceptibles d’être vendus et leur permettre de (sur)vivre. Malheureusement les affaires ne sont pas très brillantes, les années passent, et le modèle économique ne décolle pas. Il en va de même de la relation entre Mira et Shelley, deux amies pourtant très proches au sein du groupe, qui ne semblent plus sur la même longueur d’onde. Au point même où Shelley envisage de quitter la communauté et laisser Mira, qui dispose d’une certaine aura auprès des autres membres, se débrouiller. Cela ne va pas très bien non plus pour la localité qui vient d’être frappée par un glissement de terrain qui va fortement impacter l’économie locale reposant en grande partie sur l'activité touristique.


    Alors certes, au milieu de toutes ces difficultés, il existe tout de même des points positifs comme le cas d’Owen Darvish, un entrepreneur local dont le talent a été reconnu par la Reine et qui a été nommé chevalier compagnon de l’ordre du mérite de Nouvelle-Zélande en reconnaissance de ses efforts au service de la protection de l’environnement. D’autant plus qu’il vient de se mettre en rapport avec Robert Lemoine, un milliardaire américain qui souhaite construire un bunker, justement sur sa propriété, propriété qui a pourtant été frappée durement par le glissement de terrain, et dont le potentiel a lui aussi bien diminué. Le philanthrope, qui semble tomber du ciel a aussi croisé la route de Mira et s’est montré très motivé pour venir investir quelques milliers de dollars dans Birnam Wood. Tout ne va pas si mal finalement ? 


    Pourtant c’est sans compter avec Tony, un ancien membre de Birnam Wood qui avait pris ses distances depuis quelques temps pour se consacrer à une vie de reporter (au demeurant pas très réussie) qui va reprendre contact avec ses anciens amis. Et contrairement à tout ce petit monde qui semble sous le charme de l’entrepreneur, il va aller mettre son nez dans ce qui ne le regarde pas. Le comportement de Lemoine semble l’intriguer, et il trouve ses préceptes bien éloignés de ceux de la communauté, au point même de lui faire perdre son âme. Et quoi de mieux que de traquer un milliardaire américain survivaliste pour que ses talents de reporter engagés soient enfin reconnus ? Sauf que Robert Lemoine est un très gros gibier et que ses motivations cachées vont entrainer tout ce petit monde dans les abimes…


    Voici un roman néozélandais qui débute comme une histoire d’amitié contrariée sur fond de réussite sociale d’un modeste entrepreneur local et qui va petit à petit glisser vers le thriller psychologique/écolo/économique efficace.


    Le style est volontairement accès « jeune » avec un certain nombre de « genre » qui viennent ponctuer (un peu trop souvent) les échanges notamment entre les membres de la communauté, mais mis à part ce léger trait pouvant s’avérer agaçant, on se trouve dans une histoire bien menée abordant les compromis et renoncements, la jalousie et le ressentiment, et surtout l’art de la manipulation de très haut niveau.  

     

    Buchet-Chastel – 25 euros

  • Un plan simple – Scott SMITH

    Hank et Jacob sont deux frères vivant dans l’Ohio. Accompagné de Lou, un ami de Jacob, ils se retrouvent comme qui dirait « au bon endroit au bon moment ». Au milieu d’une forêt enneigée, ils découvrent l’épave d’un avion. A l’intérieur, le cadavre du pilote (dont le visage a servi de repas aux corbeaux) et surtout un sac contenant de l’argent, beaucoup d’argent : plus de quatre millions de dollars. Une aubaine pour un modeste comptable (Hank), un fils qui ne s’est jamais vraiment remis de la banqueroute et du suicide maquillé en accident de ses parents (Jacob) et d’un pilier de bar, passionné par les paris mais peu en réussite (Lou). Les trois compères, après cogitation, vont décider de garder cet argent littéralement tombé du ciel et faire profil bas pendant au moins une année afin de ne pas éveiller les soupçons d’une quelconque autorité. Cependant, un secret est déjà difficile à garder lorsqu’il implique une seule personne, alors quand il est question de trois individus, dont deux portés sur la bouteille, la mission devient rapidement impossible. Et c’est donc Hank, le raisonnable et raisonné comptable qui va découvrir son véritable visage…


    Un plan simple est le récit d’une spirale infernale, du fait qui entraine un autre fait, du mal qui prend petit à petit l’ascendant sur le bien. La famille et les amis ne valent parfois plus grand-chose devant quatre millions de dollars trouvés dans un sac et une année peut paraître longue…trop longue.


    Ce titre, sorti en 1993 aux Etats- Unis est publié par les éditions du Typhon s’avère donc un mélange de thriller et de roman à suspens, dont les personnages seraient sortis tout droit d’un film des frères Cohen.  


    Les éditions du Typhon – 23 euros


    (Parution le 11/01/2024)

  • Bâtir le ciel - Sarah SERRE

    Dans une ville nommée Salve, vit une jeune fille, notre narratrice. Elle a grandi sous l'ombre à la fois terrifiante et attirante de l'Île: une cité qui s'élance vers le ciel, que les hommes et les femmes font s'élever chaque jour un peu plus haut avec l'espoir fou d'être cette dernière génération, la génération Faîtière, celle qui connaîtra le Paradis, la fin des tourments terrestres. Beaucoup de jeunes, et de moins jeunes, passent l'épreuve de l'Ascension pour devenir bâtisseurs, sculptrices... Faire partie de cette élévation, contribuer au bonheur des futures générations est un privilège qui s'acquiert chèrement, au prix de l'oubli de soi et de sa nature humaine, au prix de leurs vies car nombreux sont ceux qui perdront l'équilibre et tomberont d'édifices instables des kilomètres plus bas. Plus l'architecture s'élance vers le ciel plus les fondations s'effritent. Pourquoi cet acharnement, cette quête d'Absolu?


    Les humains finissent par ressembler aux pierres qu'ils transportent chaque nuit, couverts de la poussière de ces rochers qu'il faut sculpter. Tenter de laisser un nom à l'église, à la cathédrale, à la synagogue, à la mosquée qui donnera un élan significatif à ce chantier qui semble infini. Est-ce là le sens de la vie?


    Après des années de souffrances, de croyances en un monde ordonné par des symboles gravés dans la pierre, la jeune femme du début se souvient d'en Bas, du sol qui ne bouge pas. Ne serait-il pas temps de redescendre?


    Un roman déroutant qui explore nos croyances et nos aveuglements: comment vivre en communauté? qui détient la vérité?L'art est-il au service de l'Homme ou une autre source d'aliénation?


    Le mot et le reste - 18 euros


     

  • Un été chez Jida

    Esther, la narratrice de ce roman-témoignage, revient sur son enfance et sur ces périodes de vacances qu'elle passait dans un joyeux chaos chez sa grand-mère Jida. D'origine kabyle, celle-ci impressionne les enfants et sa maison reproduit l'ambiance de son pays natal: la cuisine, les odeurs, les traditions... La famille a émigré après la guerre d'Algérie, a connu les camps de réfugiés: tout n'a pas été raconté sur cette période brutale et dégradante. Mais dans cette famille, le poids de la tradition et en particulier, le culte des garçons va avoir des conséquences destructrices.


    L'été de ses neufs ans, le cousin d'Esther, Ziri, le fils chéri de Jida, lui demande de monter dans une chambre à l'étage et de l'attendre. La petite fille est flattée de partager un secret avec un "grand" presque un adulte. Ce qui se passe dans cette chambre, Esther, sidérée, aura du mal à le formuler et encore plus à admettre qu'il se soit passer queque chose, qui se reproduira de nombreuses fois. Impossible que personne n'est rien vu! Mais comment dénoncer l'agresseur? D'autant plus que toute la famille protège Ziri. Pourquoi est-ce elle, qu'on tient à l'écart, pour quelles raison protège-t-on cet homme contre toute logique?

    "Un été chez Jida" c'est un été pendant lequel la vie d'une petite fille bascule et c'est tout un avenir qui se ferme. Mais sa voix s'obstine à percer la chape de silence qu'une famille entière tente de maintenir sur cette gosse sacrifiée. Comment Esther pourra-t-elle se réapproprier son histoire, sa culture si même les personnes qui sont sensées l'aimer et la protéger, lui refusent tout secours? Un premier roman qui vous happe, vous broie, et vous laisse le goût de la colère et de la révolte contre ces moeurs archaïques imposées comme un fait établi et immuable sur les corps des petites filles.

    "Ici, on ferme les yeux et on murmure maktoub en levant les mains au ciel."


    Cherche Midi - 18.50 euros

    11/01/2024

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