
-
Le rocher des proscrits - Salim BACHI
Victor Hugo reste une valeur sûre lors des rentrées littéraires : après "Léonie B" de Sébastien Spitzer, voici "Le rocher des proscrits" qui s'intéresse au moment où l'auteur était "exilé" à Jersey après l'arrivée au pouvoir de Napoléon III.
Plongé dans les remords de la perte de sa fille Léopoldine, flirtant allègrement avec l'occultisme (les séances de spiritismes très à la mode à l'époque faisaient partie de son quotidien), c'est à cette époque qu'il va prendre la défense d'un dénommé Hubert, accusé d'avoir "mouchardé" auprès des autorités et mis à mal les opposants au pouvoir. La vindicte populaire bien entendu prône la peine de mort...
Un roman qui alterne moments intimes et publics de l'auteur, et donne une importance primordiale à Juliette Drouet, qui a tout quitté pour lui et qui vit tout près de la "maison familiale" des Hugo, mais aussi des phases de réflexion ou des inspirations pour ses textes à venir. Nous sommes alors en 1853 et son chef d'oeuvre "Les misérables", par exemple, ne paraitra qu'en 1862.
Un roman historique pour tous les passionnés hugoliens.
Plon - 20 euros

-
Quitter la vallée - Renaud DE CHAUMARAY
La vallée dont il va être question se cache dans le Périgord noir, une vallée presque secrète, dans un paysage de roches et de forêt au bord d'une rivière, la Vézère, qui creuse son lit de calcaire.
Et cette vallée voit d'abord l'arrivée de Clémence et de son fils Tom: ils arrivent de Bordeaux et cherchent un lieu où reprendre leur souffle après avoir fui la violence d'un conjoint.
C'est également le lieu où Fabien, employé à Lascaux IV, rêve de devenir l'inventeur d'une nouvelle grotte ornée. Une ouverture dans la roche suite à l'effondrement d'un arbre, lui apporte un espoir qu'il va partager avec sa fille, Johanna, revenue, pour un temps de vacances dans ce lieu qu'elle avait quitter avec joie pour entamer ses études de médecine.
Et c'est enfin le pays de Guilhem, celui où il a grandi sous le joug d'une mère agricultrice, tyrannique depuis que son mari l'a laissée pour une autre. Un garçon puis un jeune homme habitué à se cacher pour ne pas subir le regard des autres sur la tâche de vin qui lui mange le visage. Quand il rencontre Marion, jeune femme de la ville, au mariage d'une cousine commune, il se prend à rêver d'une vie à deux si elle voulait bien rester.
Petit à petit, les ramifications de ces histoires se tissent et s'entrecroisent: le passé s'incruste dans les concrétions calcaires, le présent cherche des sentiers inexplorés. Renaud de Chaumaray nous balade dans sa vallée, nous fait explorer des grottes fermées depuis des millénaires dans lesquelles l'âme des hommes peut se perdre comme se révéler.
Un roman étonnant au suspens graduellement amené qui nous emmène dans la nuit des temps, jusqu'aux artistes ornant les grottes et pose la question qui donne son titre au roman: faut-il quitter la vallée pour se réaliser?
Gallimard - 20 euros

-
Le livre de Kells - Sorj CHALANDON
Kells, c'est le prénom qu'a choisi Sorj Chalandon au début des années 70 lorsqu'il a décidé de quitter Lyon, sa mère et l'Autre (son père qui fait déjà l'objet de nombreux livres dans sa bibliographie). Il s'agit donc d'un texte profondément autobiographique que l'auteur de "L'enragé" nous propose qui retracera sa vie du début des années 70, ses mois de galères à faire la manche et dormir dans les rues de Paris, la découverte du LSD (le flower power est encore assez prêt pour l'expérimenter) et le tournant de sa vie : sa rencontre avec des maoistes et les luttes qu'il va découvrir. Puis ce sera les début à Libération, une nouvelle ère...
Sorj Chalandon continue de puiser dans sa mémoire et ses histoires de jeunesse tout en faisant coincider ses textes avec ses valeurs de camaraderie, surtout la volonté de se créer une famille qu'il a choisie (bien qu'il mentionne qu'à cette époque, il aurait très bien pu se retrouver dans un tout autre milieu, pour peu qu'il soit accepté par ses membres), avoir un toit et vivre.
Un texte très émouvant, dans lequel on ressent les tourments qu'a traversé l'auteur, que ce soit lorsqu'il était en pleine précarité ou quand il fallait aller faire le coup de poing avec ses copains de lutte.
Grasset - 23 euros.
Parution le 13 août 2025

-
James - Percival EVERETT
Le débat fait souvent rage lorsqu’on parle de récriture ou de réécriture d’une oeuvre. Ici, l’auteur américain Percival Everett met tout le monde d’accord, avec à la clé un Prix Pulitzer pour son appropriation des Aventures de Huckleberry Finn, le roman picaresque de Mark Twain.
Il choisit ainsi Jim, un esclave que Huck retrouve sur une île au début de ses aventures, qui vient de s’enfuir en apprenant que lui et sa famille allait être revendus. Jim va donc essayer tout d’abord de survivre dans un milieu des plus hostiles pour un noir que l’on accuse d’homicide (sur la personne de Huck justement) avant d’espérer pouvoir retrouver sa femme et sa fille.
Percival Everett donne une nouvelle dimension au personnage de Jim en le dotant d’une solide érudition après avoir lu de nombreux ouvrages dans la bibliothèque de ses maîtres. Il doit cependant faire attention en « donnant à ses interlocuteurs blancs ce qu’ils attendent » à savoir un phrasé laborieux pour ne pas attiser les soupçons. Jim, tout comme Huck, va donc connaître de nombreuses aventures, tout autant périlleuses, pendant lesquels il se fera de nouveaux amis mais aussi d’odieux ennemis…
Percival Everett nous offre donc un personnage de Jim beaucoup plus complexe que dans la version originale, un être « libéré », doté d’un libre arbitre et qui doit composer, y compris avec Huck, pour ne pas échouer dans sa quête de liberté pour lui et les siens.
L’auteur inscrit son récit dans cette période de l’histoire américaine qui débute juste sa guerre de sécession et pendant laquelle le statut des Noirs est en plein chamboulement. Nous allons donc passer de nombreux moments exaltants, parfois doux, souvent durs, avec Jim sur les berges du Mississippi…
Editions de L’Olivier – 23.50 euros
Parution le 22 août 2025

-
Les étoiles errantes - Tommy ORANGE
Voici le nouveau roman de Tommy Orange qui après « Ici n’est plus ici », dans lequel l’auteur, lui-même descendant d’une tribu Cheyenne, nous replonge dans ses origines. En effet, dans son nouveau roman, il opère un trait d’union entre le passé et le présent, faisant débuter son roman dans les années 1920 dans un pensionnat comme il en existait beaucoup : ces tristes lieux avaient pour mission d’effacer par tous les moyens (violence, humiliation, brimades) les racines et traits distinctifs de ses pensionnaires. Véritable assimilation forcée, tout était fait pour « tuer l’indien pour sauver l’homme ». Bien entendu, la première étape passait souvent par l’annihilation du langage, les mots pour éradiquer la culture.
Depuis, le temps a passé et pourtant les effets de cette destruction massive a impacté plusieurs générations. Nous allons donc croiser la route de descendants toujours à la marge, invisibilisés et ayant le plus souvent de sévères problèmes d’addiction.
Le roman peut être lu comme une saga familiale (un arbre généalogique au début de l’ouvrage vient nous rappeler les ramifications que nous suivons au fil des pages) où après le traumatisme originel, les épreuves s’enchainent pour des individus perdus ou reproduisant des schémas destructeurs.
Et pourtant, il existe peut-être encore un espoir de « retrouver le chemin de la vie ».
« Les étoiles errantes » s’inscrit donc dans la lignée de l’œuvre de Louise Erdrich, un livre qui nous ouvre les yeux quant aux atrocités perpétrées par l’homme blanc en quête d’hégémonie au dépend d’une nation cheyenne que Tommy Orange souhaite réhabiliter, sans pour autant gommer ses imperfections et ses côtés sombres.
Albin Michel – 22.90 euros
Parution le 20 août 2025

-
Le bonheur - Paul KAWCZAK
Après le terrible et magnifique "Ténèbre", Paul Kawczak revient avec un roman encore plus terrible et tout aussi sublime dont le titre pourra dérouter le lecteur tant l'époque et les faits rapportés sont d'une noirceur insondable. Mais au milieu des ténèbres, la plus petite lueur devient un phare et un espoir au milieu du chaos.
A Besançon, à l'automne 1942, trois enfants se cachent dans une grotte sous les ruines du château de Montfaucon. D'après une légende, le diable lui-même résiderait là. En surface, c'est un véritable diable qui les cherche: un officier nazi au visage ravagé (les allemands avaient aussi leurs gueules cassées) et il les cherche car il pense que ces enfants possèdent un pouvoir. Lequel? Vous le découvrirez en lisant ce roman étonnant sur la période de l'Occupation. Je ne peux m'empêcher de penser, que certains aspects de cette histoire sont inspirés du film de Guillermo Del Toro, "Le labyrinthe de Pan": l'imagination à la fois terrible et enfantine pour faire face à la l'inimaginable réalité, c'est l'arme que ces enfants brandissent pour survivre. L'atmosphère de ce roman est angoissante et particulièrement rude quand l'auteur nous plonge dans les entrailles de cette grotte qui réveille en nous des terreurs oubliées puis en énumérant, convoi après convoi, le nombre d'enfants déportés par les autorités françaises qui ont mis un certain zèle à répondre, voire à devancer, les ordres des nazis. L'auteur n'oublie pas de montrer à quel point la déshumanisation est avant tout une affaire politique soutenue par une population au mieux aphone au pire collaborationniste.
Mais ce livre est également une réflexion sur la solidarité, celle qui habite les êtres animés par des principes de vérité et de justice, des valeurs chevillées à l'âme en dépit de toutes les menaces et les douleurs. Un roman étonnant par l'évocation des croyances ésotériques de cette sombre période, mélange de sciences et de pouvoirs de l'esprit dont on découvrait, avec la psychanalyse, la complexité. Un roman enfin, qui offre une réflexion sur l'art: des dessins préhistoriques dans les cavernes aux petits cailloux de Jacquot...
La Peuplade - 23 euros
Parution le 6 août 2024

-
Les derniers jours de Harry Yuan - ARBON
Jean Pierre Arbon connait bien le monde de l’édition. Ancien directeur général des éditions Flammarion, il a été un des premiers à envisager l’évolution numérique du monde du livre en créant la première maison d’édition en ligne « 00h00.com ». Comme beaucoup d’entrepreneur du début des années 2000, il a profité de la relative folie de l’époque pour revendre, et plutôt bien, son affaire. Et c’est ici que débute la fiction (enfin peut être…) avec ce personnage d’Harry Yuan, un homme d’affaire chinois qui a racheté 00h00.com et qui a connu une trajectoire peu commune. Milliardaire après avoir révolutionné le monde du magnétoscope (…) il a connu des hauts, nageant dans les grands fonds des affaires mondiales, mais aussi les bas jusqu’au point de disparaitre de la circulation en 2006. Pourquoi ? C’est en partant de ce postulat qu’Arbon a mené son enquête et a fini par être recontacté par Yuan. Retiré sur une ile paradisiaque (n’était-il pas ruiné ?) il est à présent très malade. Il va donc inviter Arbon à lui rendre visite et tout deux vont retracer leurs parcours et l’auteur était bien loin d’imaginer l’ampleur de celui de son hôte…
Un texte qui mélange fiction et réalité et qui aborde de l’intérieur une époque pendant laquelle le numérique était déjà un eldorado, un milieu qui faisait rêver les magnats de la presse, les grands de ce monde, qui découvraient un univers qu’ils ne comprenaient pas vraiment mais qui laissait envisager des perspectives de gain sans commune mesure.
Ce roman se lit comme un polar « économique », avec des personnages dont la férocité et le sens des affaires n’a rien à envier à la motivation et l’entrain des chefs de gangs ou mafieux des polars classiques. Un milieu composé de grands fauves, à l’égo surdimensionné et dotés d’une intelligence pour « sentir les coups » mais aussi pour distribuer les mauvais…
Depuis lors, Arbon dans la vraie vie est donc auteur mais aussi musicien, ayant laissé tomber le monde des requins pour nager dans des eaux moins troubles…sans regret ?
Le Diable Vauvert - 22 euros.
Parution le 21 août 2025

-
La marchande d'oublies - Pierre JOURDE
Fin XIXème. La France se découvre un engouement pour les spectacles des troupes de clowns acrobates anglais. Ces clowns avaient une particularité : ils étaient délirants, brutaux, funèbres et drôles. Souvent accompagnés d'effets spéciaux assez spectaculaires pour l'époque. Pierre Jourde nous parle d'une de ces formations, les frères Helquin qui ont réellement donné des représentations en France. Les quatre frères et leur jeune soeur ventriloque étaient l'attraction du cirque itinérant qui peut faire penser, par les expositions de personnes dites différentes, aux Freaks américains. Le benjamin, Alastair, était le plus doué mais également le plus téméraire du groupe. Quand il tente un numéro dangereux, la sécurité passait après le sensationnel, le jeune homme se blesse très gravement à la tête. Il perd la raison et la mémoire; on l'enferme dans un asile. La vision de l'accident de son frère est un tel choc pour Thalia, qu'elle tombe dans une sorte de sommeil catatonique. Qu'importe, pour le cirque, elle continuera à rapporter de l'argent, on la présentera comme un phénomène: la belle endormie.
Personne n'a mesuré à quel point la relation fusionnelle d'Alastair avec sa petite soeur ainsi que son obsession de pureté viendrait un jour affleurer à la surface de la conscience de l'homme blessé. Incarnation du mal, il va chercher à retrouver celle qui l'obsède depuis l'enfance.
Entre temps, et en échange d'une compensation financière, Charles, médecin aliéniste, sort Thalia des griffes de ses frères. Il est tombé sous le charme de la belle et prétexte vouloir étudier son cas et tenter de la soigner. Entre 1850 et 1880, la psychiatrie est en plein développement.
Ce roman est spectaculaire tant par l'ampleur et la virtuosité que par l'ambiance à la fois fascinante et révulsante. On devine, dans ce grand tableau, que l'auteur cherche à retracer l'itinéraire d'un génie du mal et nous plonge dans un monde qui nous semble sorti tout droit d'un conte de fées cruel.
Gallimard - 25 euros
Parution 21 août 2025

-
Un livre - Fabrice GAIGNAULT
Arléa - 13 euros
Parution 28 août 2025
-
Finistère - Anne BEREST
L'autrice de "La carte postale" qui retraçait le destin de sa famille maternelle, s'intéresse dans ce roman au versant paternel, la lignée des Bérest qui a perdu son accent aigu au fil de l'histoire.
Tout commence en Finistère, à Saint Pol de Léon au début du XXème siècle. Elle rend d'abord hommage aux deux Eugène, père et fils, son arrière-grand-père et son grand-père. Le premier fut à l'origine du premier syndicat rural des agriculteurs du Léon. Il se marie, contre toute attente et surtout en dehors des arrangements habituels qui se pratiquaient dans les villes et villages bretons, avec une orpheline anglaise rencontrée lors d'un voyage dans le cadre de son activité à la coopérative qui occupait tout son temps. A la naissance de son fils, il se voit déjà partager avec lui la direction de cette enteprise de plus en plus importante. Mais Eugène fils suivra une autre voie: celles des études supérieures, à Paris, en prépa littéraire. Sauf qu'en obtenant son bac en 1940, on devine bien qu'étudier sous l'Occupation n'avait rien de simple d'autant plus que le jeune Bérest s'est rapidement rapproché d'un groupe d'étudiants résistants.
Pierre, le père de l'autrice naît en 1950: lui aussi a hérité d'un prénom déjà présent dans l'arbre généalogique. De quels goûts hérite-t-on avec le prénom d'un parents, quelles loyautés s'inscrivent dans les gênes et "ressortent" génération après génération? C'est une des questions qui traversent ce récit, ce roman familial qu'Anne Berest abreuvent de nombreux souvenirs telles une archiviste de la mémoire.
Alternant les chapitres historiques et les moments plus récemment vécus auprès de ses parents, on comprends que l'autrice cherche à se rapprocher d'un père somme toute énigmatique, peu enclin à l'épanchement et de combler les blancs d'une relation incomplète. Ce père, scientifique, toujours perdu dans ses calculs formait avec la mère d'Anne un couple excentrique, "inadapté aux choses simples de la vie quotidienne", peu préoccupés par leurs enfants, les rendant libres dit-elle.
Si le texte se veut personnel et introspectif, il s'insère néanmoins dans une histoire plus vaste, celle du XXème siècle à travers les ramifications d'une famille comme il y en a tant, et dont la portée est universelle: en écrivant l'histoire de son père, c'est sauver sa mémoire de l'oubli.
On ne retrouvera pas la tension tragique de "La carte postale" mais l'émotion et l'écriture subtile et sensible d'Anne Berest fait de Finistère un roman d'une grande délicatesse sur les "mécanismes des destinées".
Albin Michel - 23,90 euros
-
Ils appellent ça l'amour - Chloé DELAUME
Une bande de copines part en week-end dans une ville paumée. Adélaïde, Judith, Bérangère et Hermeline entraînent Clotilde Mélisse pour trois jours de détente entre "soeurs".
Ces personnages, vous les connaissez, vous les avez croisés dans "Le coeur synthétique" (Prix Médicis 2020). (si non, ce roman se suffit à lui-même, ce n'est pas une suite à proprement parler, c'est un épisode, une histoire terrible que nous connaissons pauvres folles que nous sommes!).
Sauf que Clotilde, elle traîne des pieds; elle n'a pas voulu gâcher la fête en avouant que cette ville, elle ne la connaît que trop bien et qu'elle a tout fait pour l'oublier car elle y a vécu une relation d'emprise avec Monsieur qui avait fait d'elle sa Madame (entendez sa chose). De dix-huit ans son aîné, cet homme l'a emmuré, a aspiré son énergie vitale et éteint son être. Et si ces quelques jours étaient enfin l'occasion de faire sauter le verrou? De libérer la parole, de raconter pour se défaire de la honte.
Le roman se déroule suivant deux axes parallèles: le récit de la vie étouffante avec cet homme sangsue, des souvenirs qui lui "enserre le cerveau en lasso" et d'autre part, le déroulé du séjour entre amies avec cette question lancinante, comment leur raconter ce qui s'est passé ici? Parce qu'elle se sent responsable de ce qui lui est arrivé, ne l'a t-elle pas mérité puisqu'elle ne "s'est pas levée, elle ne s'est pas cassée". La culpabilité est pour elle d'autant plus grande qu'elle entre en conflit avec son féminisme qu'elle revendique haut et fort.
Dans le déroulement de ces pensées, on comprend le fonctionnement de l'emprise , comment il est vécu de l'intérieur et comment il sape petit à petit les défenses d'une jeune femme comment il tue la vie, limitant lentement les mouvements et l'oxygène. La prison se construit et la victime s'y enferme sans volonté, la bouche cousue par la honte et le manque d'estime de soi. Mais ce roman est également un antidote, un plat qui se mange froid bien que la conclusion, jouissive et malicieuse, soit plus de l'espoir que de la vengeance. Si Clotilde trouve le remède en plaçant enfin la honte du bon côté, elle en donne la recette à toutes les autres, toutes ses soeurs: les amies, les filles, les mères, celles qui se sont levées et sont parties, celles qui n'ont pas osé, celles qui n'y pensent pas encore.
C'est un livre à faire lire, à offrir d'urgence, à mettre dans les mains des hommes.
Editions de l'Olivier - 19 euros
-
Le fin chemin des anges - Simon JOHANNIN
Un homme erre dans Toulon. Il ne sait plus où aller pour fuir les voix qu'il entend, les voix des morts qui assaillent son esprit, qui le rendent fou. Il décide de s'éloigner de la terre ferme et de se réfugier sur une île où il espère un peu de répit. Et, effectivement, il semblerait que le calme l’y attende. Mais le repos sera de courte durée car très vite, c'est une plainte déchirante qui atteint son coeur: il y a là une âme troublée qui, avant de s’évanouir, lui raconte sa vie, une vie à la fois lumineuse et terrible. Et cette voix c'est celle d’un enfant mort au bagne de l’île du Levant, dont ne subsistent que des ruines.
Dans cette atmosphère hantée, l'homme accueille l'histoire de Louis, jeune garçon enfermé dans ce bagne, un garçon d'une beauté angélique, harcelé pour son homosexualité qui va le guider jusqu'à une cellule témoin du martyr de Louis. L'île est aujourd'hui une base militaire mais les ruines du bagne existent toujours. Une révolte a eu lieu en 1866 sur cette terre de malheur et Louis, fils de paysans miséreux en sera une des victimes.
Documenté d'extraits de journaux, de documents juridiques, de lettres (du préfet, du ministre de l'intérieur), le texte de Simon Johannin raconte la brutalité des traitements réservés aux "déviants" mais également à tous ces enfants enfermés pour n'avoir eu que la malchance d'être orphelins ou placés par les services sociaux estimant leur famille inapte à leur fournir une éducation. Des conditions inhumaines qui conduiront à une révolte qui se termine en incendie dans lequel plusieurs enfants seront brûlés vifs.
Le narrateur s'adresse à Louis à travers un monologue intérieur avec une intensité qui résonne en nous et éveille la colère contre ce système pénitentiaire qui a broyé tant de jeunes vies.
C'est un cri du coeur de l'auteur qui se fait le porte-parole de ces oubliés, ces laissés pour compte et c'est une lecture bouleversante, d'une portée universelle, servie par une écriture poétique et brute.
Denoël - 16 euros
-
Les ombres du monde - Michel BUSSI
En 1994, quand commence le génocide au Rwanda, Michel Bussi vient d'être nommé à l'université de Rouen, maître de conférence en géographie politique.
Faire un roman d'une telle tragédie n'est pas une affaire simple et l'auteur choisit de mêler des personnages de fiction aux faits historiques réels et de plus, il a été sur place, accompagné de Patrick de Saint Exupéry, journaliste, connu pour avoir été le lanceur d'alerte sur la responsabilité de la France dans cette affaire. Ils ont visité les lieux de mémoires, discuté avec des survivants et avec les nouvelles générations.
Le roman se déroule en parallèle sur trois époques: il commence en 1990 avec la rencontre entre Espérance (alors "cataloguée" comme à moitié Tutsi) et Joryk, un soldat français, c'est le personnage un peu naïf qui ne comprend pas ce pays (un peu comme nous en fait).
On sera également projetés en 1994 pendant les jours de massacres des "cancrelats" mais surtout, nous suivrons Maé, en 2024, qui rêve de rencontrer les gorilles et que sa mère, Aline et son grand-père, Joryk, vont accompagner pour un voyage au Rwanda. Trente ans après, est-ce que les braises sont éteintes? Joryk en doute et il remet, au départ du voyage, un carnet à sa petite-fille, un carnet écrit par sa grand-mère, Espérance.
Entre roman historique et polar haletant, Michel Bussi nous propose un roman qui permet de comprendre les enjeux de l'histoire de ce pays, les forces en présence et le langage développé par un groupe de personnes que le pouvoir rend fou. Les messages de la Radio des Collines sont sinistres et c'est une plongée en temps réel dans l'imbroglio d'une affaire d'état.
Une histoire complexe, d'une brutalité crue, des personnages profondément touchants: c'est un roman qu'on ne lâche pas et qui vous fera ressentir tour à tour la peur, la douleur, la méfiance, la colère. Ce n'est pas une leçon d'histoire, c'est de la littérature au service de la vérité.
Presses de la Cité - 23.90 euros
-
La collision - Paul GASNIER
Gallimard - 19 euros
-
Qui tombe des étoiles - Julien D'ABRIGEON
Qui tombe des étoiles propose un entrelacs de destins de femmes et d’hommes qui ont cru pouvoir défier notre sort commun, la loi physique universelle : l'attraction.
De Christa McAuliffe, astronaute civile dans la navette Challenger à Adolphe Pégoud, premier as de la Grande Guerre, en passant par une parapentiste, un ex-éleveur de bétail millionnaire réformateur de l’orthographe, Nicolas de Staël ou encore Richard Edlinger ainsi que des oligarques russes qui tombent de leur balcon…Ce livre-averse, comme dans une partie de Tetris, agence les trajectoires de ces humains ayant voulu échapper à tout ce qui nous contraint, pour aller plus haut, jusqu'à la chute, inévitable.
Le Quartanier – 20 euros
Rencontre avec l'auteur
VENDREDI 3 OCTOBRE 18h30

-
L'invention d'Eva - Alessandra BARBAGLIA
Quelle énergie a t-il fallu pour effacer Hedy Lamarr, la plus belle femme du monde, pour qu'elle soit à ce point méconnue? L'inventrice géniale du Wi-Fi qui, si on l'avait prise au sérieux, aurait donné aux américains, un avantage décisif pendant la seconde guerre mondiale.
Mais qui écoute une femme quand celle-ci est célèbre pour avoir tourné nue et simulé un orgasme dans un film? Quand on lui prête un amant ou une amante par nuit? Elle est réduite à son corps si parfait que personne ne soupçonne l'esprit brillant et l'immense capacité de déduction de son cerveau qui la place parmi les plus grands génies du XXème siècle.
Alessandro Barbaglia tombe fou amoureux d'Hedy, il ne la connaissait pas. Il commence à s'intéresser à elle quand sa soeur, lourdement handicapée, réclame d'aller sur sa tombe.
C'est une enquête d'une profondeur inédite que nous offre l'auteur. A la recherche d'Eva. Eva, le prénom qu'on lui a donné quand elle est née et a grandi dans l'Autriche des années 20-30, petite fille juive assoiffée de connaissances, d'une intelligence vive et pratique.
En remontant aux origines du mythe, l'Eve du paradis originel, Alessandro Barbaglia s'interroge sur la place des femmes de génie dans l'Histoire montrant combien elles dérangent d'autant plus quand elles s'affranchissent des conventions de leur époque et affirment leur liberté.
L'arbre de la connaissance leur est interdit et celles qui osent transgresser cette interdiction s'exposent à la malédiction.
En se basant sur des documents, des interviews de l'actrice (décédée en janvier 2000) et en intercalant des souvenirs d'enfance avec sa soeur, personnage tout aussi énigmatique, Alessandro Barbaglia rend à Hedy Lamarr, un hommage bouleversant: elle devient l'emblème de toutes les femmes.
Liana Levi - 20 euros
Parution 4 septembre

-
Le Bel Obscur - Caroline LAMARCHE
Ce roman est une autofiction, il y en a beaucoup en cette rentrée littéraire, mais Caroline Lamarche a le talent qu'il faut pour vous emmener loin des sentiers battus et rebattus par le genre. Il en sera question d'ailleurs, du genre dans cette enquête familiale : l'autrice part sur les traces d'un de ses ancêtres, Edmond, le jeune homme figurant en couverture, né en 1834 à Liège, mort à Orléans en 1862.
Les maigres archives (2 photos, une lettre et un brouillon de rédaction) l'amène à des tentatives de déduction ou d'interprétation surprenantes, drôles et même caustiques. Cette recherche qu'elle mène pour comprendre pourquoi Edmond a été effacé de la mémoire familiale l'amène à s'interroger sur sa propre vie. Car ses découvertes vont bousculer l'existence de l'autrice et nous faire découvrir le portrait d'une femme qui bouscule les conventions sociales. Comment se réinventer quand son mari, son premier et grand amour, lui révèle qu'il est homosexuel? Ils ont fondé une famille, vivent dans une maison refuge; sa façon de surmonter, d'aucuns diront contourner voire ignorer, avec tendresse, sans cesser de s'interroger avec une lucidité touchante sur les motivations qui la pousse à préférer une vie de couple hors normes, plutôt qu'une solitude intolérable, est une véritable leçon de courage, de tolérance. Elle raconte sans détour, le bouleversement de leur vie et les péripéties de leur émancipation respective.
Une voix originale, une écriture qui vous happe, un sujet mêlant mémoire, histoire familiale, transmission et récit intime.
Le Seuil - 20 euros

-
Trois enterrements - Anders LUSTGARTEN
Ce roman polyphonique pourrait tomber dans le tragique et la désillusion de par le thème abordé, la brutalité des politiques migratoires mais Anders Lustgarten, trouve une justesse de ton et un humour tout en finesse pour raconter cette histoire.
Et cette histoire, c'est d'abord celle d'Omar qui s'élance plein d'espoir sur un bateau, avec quelques compagnons d'infortune, en direction de l'Angleterre où l'attend Asha, son amour, avec laquelle il rêve de vivre enfin correctement, de travailler, de fonder une famille. Son rêve n'atteindra pas son but et c'est son cadavre que Cherry, infirmière en plein questionnement existenciel, va découvrir sur une plage anglaise. Ainsi que la précieuse photo d'Asha que le jeune homme conservait contre son coeur.
Nous sommes également au coeur des pensées d'un policier, Andy, enrôlé dans une milice raciste, qui semble enfin lui offrir une vie, de l'action et la reconnaissance de son chef qui le distingue. Mais était-ce vraiment le rôle qu'il souhaitait?
En alternant les chapitres entre les différents personnages, l'auteur nous bouscule et nous percute : entre actions et propos racistes, tragédies humaines, questionnements maternels et politique migratoire du Royaume Uni, les points de vue s'enchaînent et on est aspiré dans le road-trip qui s'organise tant bien que mal. Cherry trouvera des alliés parfois involontaires dans sa quête contre l'oubli (elle refuse que le corps du jeune homme soit enterré dans une fosse commune) faisant malgré elle le lien avec son fils aîné que son suicide a dévastée. Ce mouvement sera le début d'un raccrochage à la vie et le début d'un nouveau cycle dans lequel sa fille et son mari retrouveront une place.
Alors, quand comme Cherry, nous sommes dotés d'une conscience, que peut-on faire aujourd'hui? C'est la question que nous transmet l'auteur: quand tout changement possible venant d'en haut est exclu, quand le pouvoir n'est que malveillance, que faire? On se replie sur soi? Ou on se met en mouvement en interpellant nos voisins?
On sent dans l'écriture, le dramaturge voire le scénariste qui lance des piques sur une société anglaise qui maltraite les êtres humains et protège les riches.(!)
Il dénonce l'inhumanité des politiques migratoires euopéennes, le racisme endémique dans la police, la casse sociale; c'est donc un livre très politique, urgent, brûlant, radical, mais, de façon surprenante, c'est aussi un roman comique.
Actes Sud - 22,50 euros

-
Zem- Laurent GAUDE
Nous retrouvons dans le nouveau roman de Laurent Gaudé, le personnage de Zem, un ancien flic qui après ses mésaventures dans le précédent titre "Chien 51" , est à présent chargé de la protection d'un important politicien de Magnapole, la ville placée sous un dôme pour protéger ses habitants d'un climat meurtrier.
Un jour, il accompagne le dignitaire au port de la ville pour assister à l'arrivée d'un conteneur dont la cargaison démontre le décalage qui continue d'exister entre les castes de la ville : un iceberg devant servir à proposer des bouteilles d'eau pure pour les nantis pouvant se permettre l'achat de cette denrée exceptionnelle. Mais c'est au moment où la cargaison est débarquée au port qu'un évènement fâcheux, pour les autorités, va se dérouler...
Laurent Gaudé continue son exploration d'un monde privatisé, fractionné, dans lequel malgré la catastrophe écologique en cours,les affaires continuent aux dépens des populations, l'énergie est le fer de lance d'un capitalisme mortifère avec des entreprises privées prêtes à tout pour que leur rentabilité et leur leadership demeurent.
Dans la lignée de Chien 51, un très bon roman d'anticipation et une dystopie crédible qui interpelle.
Actes Sud - 22 euros
Parution le 20 août 2025

-
Nous sommes faits d'orage - Marie CHARREL
"Les mots ont un pouvoir que les hommes n'ont pas : ils résistent. Au temps, aux disparitions. Ils survivent à ceux qui les ont écrits pour transformer l'existence de ceux qui les liront demain."
Marie Charrel est une conteuse, une magicienne des mots : dès les premières lignes, vous savez que vous partez en voyage. Pour ce roman, c'est l'Albanie, ce petit confetti sur la carte de l'Europe, qui ne sera pas seulement le décor mais un personnage à part entière de cette histoire. Ses paysages, ses habitants, son passé mouvementé : tout y est à la fois rude et magnifique, pays pétri de croyances en des forces naturelles et telluriques vengeresses, de traditions communautaires et patriarcales que le socialisme des années 90, sous le gouvernement d'un "visionnaire" despotique (Enver Hoxha) va vouloir révolutionner.
C'est avec Sarah, partie d'Islande à la demande de sa mère qui vient de mourir en 2023, que le roman débute. Un héritage mystérieux (une maison en ruines dans un village sans nom) et le prénom, Elora, d'une femme qu'elle doit retrouver, ce sont les seuls indices qu'elle détient en arrivant dans ce pays dans lequel sa mère a grandi : cette dernière n'a jamais rien évoqué de son passé et des raisons de son exil en Islande. Qui est cette Elora dont on lui affirme qu'elle est morte depuis longtemps? Que s'est-il passé dans ce village trente ans plus tôt? Entre soubresauts de l'Histoire, croyances millénaires et application de la vengeance du sang, Sarah va découvrir que les choix et la parole des femmes de sa lignée ont été des combats pour conquérir leur liberté.
Un roman plein de fureur et de sang, de poésie et de silences si bruyants de vie qu'ils vous interpellent à travers les lignes. La beauté brute de la nature, sa générosité autant que sa capacité à écraser les humains nous rappellent à quel point le respect de l'environnement ne peut se conjuguer avec des objectifs politiques et économiques.
Un texte magnifique et puissant porté par une écriture lumineuse.
Editions les Léonides - 21,90 euros
Parution 20 août

-
L'homme qui lisait des livres - Rachid BENZINE
Rachid Benzine est de ces auteurs qui sont capables, en quelques pages, de vous bouleverser. Dans ce court roman, il va nous rappeler à quel point les livres et la littérature sont sources de vie, d'espoir, d'humanité même dans les endroits où l'humanité ne fait plus que survivre. Nous sommes en Palestine, dans la bande de Gaza, dans les pas d'un photographe français en reportage qui au détour d'une rue en ruines, rencontre un vieux libraire. Celui-ci semble attendre, avec ses livres qui sont autant de fragments d'une vie, d'un pays, d'une histoire qui ne demande qu'à être racontée et écoutée pour ne pas oublier. Et c'est une longue histoire de résistance que cet amoureux des mots et des livres va évoquer pour retracer le parcours d'un homme dans un pays occupé: enfant grandi trop vite dans un camp dit provisoire, découverte du théâtre, désillusions politiques, prison et drames personnels jalonnent l'existence de cet homme. Pour lui la littérature n'est pas un échappatoire, elle lui a permis de survivre au chaos, d'être pleinement un humain, acteur de sa vie, transmetteur de textes qui permettent d'organiser le monde par la pensée et de ne pas céder à la tentation de la violence quand celle-ci semble être la seule réponse possible.
On ne peut qu'être bouleversé par les mots de Rachid Benzine, par ces figures qu'il convoque et qui ne baissent pas les bras malgré l'humiliation. L'actualité de cette région ne peut pas laisser indifférent et le regard de l'écrivain en se posant sur des individus qu'il nomme, les sortant ainsi de l'anonymat de la foule ou d'une simple énumération quotidienne d'un nombre de morts, éclaire notre compréhension de ce que peuvent ressentir les hommes et les femmes de Palestine.
Julliard – 18 euros.
Parution le 21 août 2024

-
Nourrices - Séverine CRESSAN
Séverine Cressan signe un premier roman émouvant sur les femmes à qui on confiait des enfants en bas âge pour qu'elles les allaitent, contre rémunération.
Dans ce roman ni daté ni géographiquement situé, l'autrice met en scène une jeune mère qui, au sevrage de son enfant, décide de devenir nourrice pour une petite de la ville, manière pour elle d'apporter un peu d'argent à la famille. On va alors découvrir le fonctionnement de toute une industrie autour du corps des femmes et de la précieuse denrée qu'est le lait maternel. Car tout une constellation de profiteurs va chercher à s'accaparer tout ou partie de ce commerce lucratif, et on ne dévoilera rien en disant que les hommes se sont empressés de trouver des moyens « d'encadrement » pour ces femmes, mères de substitution que l'histoire a rendu invisibles. Ces femmes seront palpées, évaluées, marchandées comme du bétail. On les oblige parfois à laisser leur propre enfant en nourrice au village pendant qu'elles viennent en ville s'occuper des bébés des dames. Elles n'ont pas le choix non plus : les maris exigent que leurs femmes leur appartiennent et ne s'abaissent pas à allaiter un nourrisson.
Avec ce texte très sensuel et bouleversant, Séverine Cressan révèle les rouages d’un système qui semble aller de soi dans les livres d'histoire mais qui cache tellement de secrets et de drames personnels.
Dalva - 22 euros
Parutions 21 août

-
Géographie de l'oubli - Raphaël SIGAL
Pour Raphaël Sigal, il y a eu un moment où l'histoire familiale, ou plutôt les non-dits, les sous-entendus de cette histoire, devaient être écrits. Mais comment s'emparer des bribes intégrés depuis l'enfance, ces petites phrases parfois anecdotiques dont on devine un sens caché, comment restituer sans romancer, départager la vérité de ce qui a été patiemment élaborer afin de rendre cette histoire acceptable?
C'est tout le questionnement de l'auteur qui souhaite raconter la vie de sa grand-mère alors que la maladie d'Alzheimer effritent les souvenirs depuis longtemps enfouis. Le silence, semble-t-il, a permis de reprendre une vie bouleversée par la guerre. Ses grands-parents ont traversé la Shoah et l'auteur s'interroge sur la façon de remonter le fil d'une vie, avant de décider que cet ouvrage ne sera ni une enquête ni un roman : il analyse sa manière d'écrire, s'interdit des questions qui n'ont plus de sens dans le contexte de la maladie. Eviter de se mettre à la place de, éviter les écueils de la romantisation d'une vie saccagée par la violence et plutôt se concentrer sur ce qu'il reste, sur les petits cailloux semés dans sa mémoire d'enfant puis d'adolescent. Et avec les mots écrits par sa grand-mère dans un journal (reproduit en intégralité en fin d'ouvrage), continuer à s'interroger sur le travail de la mémoire qui se trouve être finalement, un travail de l'oubli.
En balayant la littérature des survivants, Raphaël Sigal explore les souvenirs de ceux et celles qui ne veulent pas oublier, il nous pousse à tatonner avec lui dans son travail d'écriture, ses hésitations, ses retours en arrière, ses trouvailles : le mot-valise "Shoalzheimer" ou "comme mémorer". Chaque paragraphe, chaque chapitre est une lutte contre la facilité de dire "je", "donc", "car".
Ce livre n'est pas un témoignage, un énième roman autobiographique sur une expérience vécue de l'horreur, c'est un livre d'amour pour sa grand-mère, qui respecte, jusqu'à la
fin, la boîte de secrets qu'elle avait enfermé dans son coeur: l'auteur ne parlera pas à sa place de ce qu'elle a mis toute une vie à taire.
Robert Laffont – 17 euros
Parution le 21 août 2024

-
La colonie - Annika NORLIN
Le retour à la terre, quitter la civilisation, ses réseaux, son actualité, se retirer du monde, un rêve, parfois une chimère mais pour certains une réalité. C’est le cas de cette auto-proclamée « colonie » que va découvrir Emelie, elle-même en quête de retour à l’essentiel après un burn-out destructeur. Dans un premier temps, c’est avec une certaine appréhension qu’elle va découvrir, de très loin, le comportement de ce groupe d’humains qui paraissent bien éloigné du monde réel. Vivant sur un terrain (dont on apprendra au fil de l’histoire l’origine « controversée »), ces individus semblent vivre sereinement, sans hiérarchie, sans règle, une existence des plus tranquille. Mais Emelie va vite découvrir que les apparences sont parfois trompeuses, que certains membres ne sont pas là uniquement pour l’amour des arbres et des baignades en eau vive, que la nature ayant horreur du vide, un ou une cheffe s’est imposée et que derrière les bons sentiments se cache parfois des zones plus opaques, qui plus est par rapport à un jeune homme composant le groupe avec qui elle va nouer des liens particuliers.
Le premier roman de l’autrice suédoise Annika Norlin est construit de manière assez brute, comme la nature dont elle parle, les incartades dans le passé des protagonistes alternant avec le présent et l’irruption d’Emelie dans ce groupe, lui rappelant l’existence d’une « autre vie », venant quelques peu bouleverser son équilibre apparent.
Un roman dans lequel les personnages développent petit à petit une profondeur et dont on a envie de connaître les itinéraires avant d’arriver dans ce coin de Suède isolé, tels des Robinson Crusoé Scandinaves. Un état d’esprit qui sous couvert de choix de vie n’est peut-être que la résultante de trajectoires inéluctables de part leur passé.
La Peuplade – 24 euros.
Parution 04 septembre 2025

-
Tant mieux - Amélie NOTHOMB
Pendant la guerre (la 2nde), une petite fille de quatre ans est confiée par ses parents, à sa grand-mère maternelle pendant les vacances d'été. Ils espèrent ainsi que la petite sera plus tranquille en n'étant pas régulièrement obligée de se rendre dans un abri à chaque bombardement. Adrienne se voit donc obligée de quitter son univers et sa grande soeur (qui, elle, sera hébergée chez la douce grandmère paternelle) pour aller à la rencontre d'une femme qu'elle ne connaît et dont elle a l'intuition, au vu du comportement et des rares mots de sa mère, qu'elle n'est pas commode. Aime-t-elle seulement les enfants? La gamine se donne pour mission de se faire accepter, mieux, d'ouvrir le coeur de cette grand-mère acariâtre. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il va falloir toute l'imagination, le courage et l'intelligence d'une petite fille avide de tendresse et curieuse de tout ce qui l'entoure, pour arriver à ses fins.
Amélie Nothomb nous entraîne à nouveau sur les chemins de l'enfance et de ses blessures dans un roman dont le ton peut, au départ, sembler léger mais qui, rapidement, nous touche et nous irrite à la fois. Les adultes ne sont pas tendres, ni compréhensifs avec les enfants: c'est à eux, alors qu'ils parlent à peine, qu'ils n'ont pas les clés, qu'il incombe de deviner, de s'adapter au monde et de trouver, seuls, les réponses à leurs questions les plus capitales. A quel âge apprend-t-on à dissimuler et comment, une fois adulte, peut on oublier la douleur enfantine de ne pas se sentir compris, d'être confronté aux secrets et de perpétuer cette transmission maladroite aux générations suivantes?
A la fin de ce livre, peut-être adopterez-vous le "tant mieux" nothombesque comme une formule, non pas magique, mais d'encouragement à soi-même dans les moments compliqués.
Albin Michel - 19.90 euros
Parution 20 août 2025
-
La nuit au coeur - Nathacha APPANAH
Nathacha Appanah convoque ici trois hommes: un ouvrier, un journaliste, un chauffeur, trois hommes "normaux". Rassemblés dans une pièce, ils ne savent pas ce qu'ils font ici. Mais l'autrice, elle, sait : chacun d'eux a voulu tuer sa femme ou sa compagne. Deux d'entre eux ont réussi, la rescapée est la narratrice de ce roman.
Quand Nathacha Appanah apprend, en 2021, la mort de Chahinez, brûlée vive par son mari qui vient de lui tirer une balle dans chaque jambe et ce, en pleine rue près de Bordeaux, elle se retrouve face à son propre passé et à la violence de l'emprise qu'elle a subi auprès d'un compagnon manipulateur et jaloux. Elle se souvient aussi de la mort de sa cousine Emma, écrasée par la voiture conduite par son mari, il fera une marche arrière pour ne lui laisser aucune chance.
En remontant à la première rencontre avec son futur bourreau, l'autrice décortique les étapes d'une relation dont la violence n'apparaît malheureusement qu'après coup et combien s'en libérer est un parcours d'une difficulté extrême qui bien souvent est fatal. Elle relève ensuite l'engrenage dans lequel Chahinez est tombée, engrenage d'autant plus violent que malgré ses demandes, elle n'obtiendra aucune aide. Pire, au moment du procès de l'assassin de sa cousine, c'est lui qui se dira victime, décrivant le "calvaire" qu'il aurait vécu auprès d'une femme instable, difficile.
C'est là le but de roman: lever le voile, rétablir la vérité et sortir ces femmes de l'effacement que la société est prompte à, si ce n'est approuver, à tout le moins, éviter. Elle montre comment les discours, les médias sont tentés par les raccourcis: fait divers, crime passionnel... Tous tendent à excuser les agissements masculins sous prétexte d'instabilité féminine. L'écriture est précise et donne un sens au mot féminicide, expliquant le piège qui se referme lentement. Elle donne une voix à celles qui ne peuvent plus témoigner, elle nous offre à entendre le rire communicatif de Chahinez, se reprochant de parler trop tard d'Emma que des années d'oubli ont presque effacée, et enfin elle se libère du souvenir de sa course nocturne dans les phares de la voiture qui la poursuivait.
Gallimard - 21 euros
-
Cet autre Eden - Paul HARDING
Inspiré de faits réels, ce roman nous parle d'appartenance (à un groupe, une famille, à la terre), de marginalité et de notre rapport au monde et à la nature.
Paul Harding (Prix Pulitzer 2010 pour "Les foudroyés") s'empare ici d'un épisode peu glorieux de l'histoire du Maine. Il va nous raconter la dernière année de vie d'une communauté insulaire, menacée d'expulsion par un gouvernement qui voit d'un très mauvais oeil l'autarcie de ces îliens et encore plus la mixité raciale à une époque, nous sommes au tout début du XXème siècle, où l'on parlait d'eugénisme et de risque d'affaiblissement de la race blanche.
L'île, c'est Malaga Island, surnommée Apple Island car les premiers habitants qui s'y installent en 1792, Benjamin Honey, ancien esclave et sa femme, Patience, d'origine irlandaise, rêvaient d'y faire pousser un verger de pommiers.
Séparée du continent par un étroit chenal qui peut être assez facilement traversé à marée basse, les liens avec la terre ferme ne sont pas entièrement coupés. Mais cet obstacle reste une protection, plus d'un siècle plus tard, pour leurs descendants et les quelques personnes qui ont rejoint la communauté, vivant dans une pauvreté extrême.
C'est l'arrivée, en 1912, d'un missionnaire blanc pétri de préjugés, qui va sonner le glas de cette communauté. Bien que surpris par l'intelligence des enfants qu'il est en charge d'éduquer, il n'y a rien de bien charitable dans son approche. Et ses conclusions transmises à qui de droit vont bientôt faire basculer des vies simples dans l'angoisse: ils seront expulsés, leurs maisons brûlées, leurs morts déterrés.
Les personnages de ce roman, vous ne les oublierez jamais.
Il y a Iris et Violet, deux soeurs lavandières qui élèvent trois orphelins sur une goélette échouée; Zachary Hand to God, vétéran de la guerre de Sécession qui sculpte l'intérieur de l'arbre dans lequel il vit; il y a Esther Honey, la doyenne de l'île et son fils Eha qui lui rappelle chaque jour une bien douloureuse histoire. Chaque famille, chaque enfant arraché à cet autre Eden devra trouver un nouveau refuge quand ils ne seront pas enfermés dans des institutions.
Chaque histoire parle de survie et de résistance, d'amour et de dignité contre la méchanceté des hommes, ceux qui pensent avoir le droit de leur côté.
Buchet-Chastel - 23,50 euros
-
La maison vide - Laurent MAUVIGNIER
Cette maison vide, c'est celle de la famille de l'auteur, un logement qui est resté très longtemps abandonné après avoir connu de nombreuses générations, un cerisier et surtout un piano au passé trouble.
L'auteur va ainsi remonter dans le temps et nous raconter les vies ordinaires (mais pas si ordinaires...) de son arrière-arrière grand-mère, son arrière grand-mère et sa grand-mère. Ces dernières, ayant vécu à la fin du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème, ont du subir la volonté de leurs pères, de leurs maris, parce que c'était ainsi que cela fonctionnait, et donc se voir imposer des vies qu'elles n'auront pas choisies. Se rajoutera à cela les deux conflits mondiaux et tous leurs traumatismes.
Un roman familial au long cours, un style remarquable pour essayer de comprendre ce qui a pu provoquer la fin tragique de sa grand-mère puis de son père. Tout cela avec le minimum d'information, les silences ayant souvent pris la place des grandes explications et un roman pour redonner vie à ces personnages, combler les zones d'ombre de leurs vies peut être mais avec en ligne de mire une Histoire familiale pleine de secrets et de douleurs dont on connait l'issue.
Les édition de Minuit - 25 euros

-
Rock$tar - Stéphane VANDERHAEGHE
Justin Ash, la plus grande star du rock de l'époque a disparu. A l'issue d'un concert, tout le monde a perdu sa trace. A-t-il fuit ce monde du showbizz qu'il ne pouvait plus supporter? S'est-il suicidé?
La déflagration est importante dans le milieu musical mais aussi dans la société : Justin Ash était pour beaucoup un exemple, une figure rebelle et surtout un pourvoyeur de musiques et de textes qui restent dans les mémoires.
Autour de lui gravite tout un petit monde qui se prend également en pleine face la disparition supposée de la rock star : certains en souffrent, d'autres bien sur vont en profiter..."show must go "on n'est ce pas?
Voici un titre rafraichissant sur l'univers musical au milieu de pléthore d'histoires de famille plus ou moins passionnantes, on ne peut ne pas penser à un certain Kurt Cobain quant à l'attitude de Justin Ash ce qui rappelera des souvenirs aux plus anciens jeunes :-)
A noter, pour prolonger l'immersion, qu'une tracklist spéciale et de bonne qualité a été réalisée, accessible par QR code.
Le roman rock de la rentrée!
Quidam Editeur - 22 euros.

-
Les éléments - John BOYNE
Dans son nouveau roman, John Boyne convoque les quatre éléments, comme les quatres histoires qui le composent mais qui sont en fait un tout.
Afin de ne pas gâcher l'intérêt de ce titre, nous ne pouvons qu'évoquer le fait qu'un personnage secondaire du premier récit, devient le principal du second et ainsi de suite.
On peut tout de même indiquer que la culpabilité sera le sujet qui survolera de ses ailes sombres les quatre récits.
John Boyne va creuser dans le pire de l'humain pour en faire ressortir tout de même de l'humanité, ses personnages sont à la fois glaçants et terriblement fragiles. Chacun se débat avec ses états d'âme, ses fantômes, ses obsessions, ses drames...certains s'en relèvent, d'autres plongent encore plus profond dans les abysses...
Un roman qui fait réfléchir, en abordant des sujets sensibles et qui se lit d'une traite.
JC Lattes - 23.90 euros.
Parution le 20 août 2025

-
L'histoire de Mother Naked - Glen James BROWN
Roman historique, conte de troubadour, cette histoire nous plonge au coeur de l'Angleterre du XVème siècle, quand les paysans n'étaient que des esclaves au service de l'Eglise et des puissants. Attachés comme des prisonniers à leurs villages sous les ordres du bailli qui distribue les tâches, sans considération autre que le profit: les familles héritent du travail des morts à la tâche ou des déserteurs quelque soit leurs capacités physiques. Veuves, jeunes garçons à peine sortis de l'enfance se retrouvent à cumuler des travaux intenables et en ayant de moins en moins de temps pour cultiver la surface qui leur est dévolue produisant à peine le nécessaire pour survivre d'une année à l'autre. Et quand le climat gâche la récolte, la famine et les maladies entraînent les serfs dans une spirale mortifère. C'est l'Enfer sur terre, et c'est ce que Dieu a voulu : et gare aux survivants qui ne paieraient pas pour éviter à leurs morts de s'éterniser au Purgatoire! La vie dans l'au-delà n'est pas garantie quand on n'a pas le sou.
Mother Naked, c'est le nom de "scène" d'un ménestrel qui, de ville en ville, joue du psaltérion en racontant des histoires. II n'était cependant pas l'artiste attendu à Durham pour la fête des marchands et nobles en cette soirée orageuse de l'an 1434. Et ce ne sera pas la moindre des surprises que ce raconteur va leur servir. Il les incite à boire et à manger, et à écouter la chronique dans laquelle, bientôt, chacun va se reconnaître et pas forcément à son avantage. Entre fables, chansons, poèmes, peu à peu se dévoilent les petits secrets et arrangements d'une classe qui possède le pouvoir contre ceux qui pourtant les font vivre.
Ce roman est fascinant par sa forme : on est comme suspendu aux lèvres de ce conteur. Des images terribles se forment dans notre esprit et l'on ressent toute la misère et l'angoisse de ces "petites gens" qui ont beau se plier, travailler, prier, payer, n'ont jamais l'espoir d'une vie meilleure sur cette terre, voient mourir leurs enfants. Ils se débattent comme des poissons hors de l'eau et ne peuvent espérer une main tendue : le système imposé par les puissants ne leur permet même pas l'empathie envers leurs pairs. C'était une autre époque et pourtant, quels échos avec notre monde d'aujourd'hui. Et avec quel talent, l'auteur, avec les mots de Mother Naked, met en lumière la lutte, sans fin, des classes.
Typhon - 21.50 euros.
Parution le 2 septembre 2025

-
Trois fois la colère - Laurine ROUX
Un nouveau roman de Laurine Roux est toujours une surprise: l'autrice se renouvelle à chaque livre que ce soit dans le sujet comme dans son écriture.
Pour "Trois fois la colère", elle se glisse au Moyen-Age au temps des Croisades et nous entraîne dans un conte cruel, une histoire de vengeance dont l'issue est dévoilée en introduction. La scène d'ouverture nous propulse aux côtés d'une jeune femme décapitant à l'épée, un seigneur puis emportant sa tête sur son cheval. Pour comprendre cette exécution, il va falloir remonter deux générations en arrière avec la naissance, dans une forêt où personne n'ose s'aventurer, de triplés. Par l'intervention d'une vieille intrigante et sous couvert d'un marché secret, deux des enfants seront enlevés à leur mère et connaîtront des destins bien différents : trois enfants, trois ordres (noblesse, clergé, tiers-état), élevés pour imposer ou pour servir, seule une marque de naissance les relie. Et cette marque accuse le seigneur Hugon le Terrible, le prédateur de tout ce qui porte jupon sur ses terres, d'avoir contraint Gaïa, la mère des enfants. Tenus dans l'ignorance de leurs origines, il semble cependant que la forêt ne cesse de les appeler.
Laurine Roux a le pouvoir des conteuses: elle tisse son histoire avec patience, entremêlant les vies dans une nature prégnante, un personnage à part entière. Chaque personnage s'anime et se débat dans cette société féodale soumise à la domination des hommes sur les femmes, des seigneurs sur les serfs, de l'Eglise sur tous. Il y est question de quête de spiritualité, de liberté, de vengeance mais surtout de justice. C'est un récit de colère, de femmes qui résistent à la violence, à l'oppression et en cela, comme c'est d'ailleurs le rôle des contes, c'est un récit intemporel servi par la langue riche et évocatrice d'une autrice incontournable.
"La justice exige de la puissance, de l'intelligence et de la volonté. Elle ressemble à la reine des abeilles." Léonard de Vinci.
Les éditions du Sonneur - 20 euros

-
Adieu Kolyma Antoine SENANQUE
Comment revenir à une vie normale lorsqu’on a connu l’enfer ? En Hongrie, dans les années 1950, ils sont nombreux ceux qui ont supporté la rudesse d’une contrée éloignée de tout : la Kolyma, antichambre de l’enfer situé à l’Extrême-Orient russe, servant notamment de camps de travail forcé pour les récalcitrants au programme soviétique. Sylla Bach a grandi dans ce contexte, une orpheline qui a côtoyé et a été pris sous l’aile du clan Vadas, qui l’a protégé enfant. Pour eux, elle est devenue « une tueuse de chienne » c’est-à-dire une porte flingue pour solutionner de manière définitive les problèmes qui pouvaient se poser dans le camp et gêner les affaires. Le temps ayant fait son œuvre, la Kolyma se trouvant à des milliers de kilomètres, Sylla pensait avoir payé son du en effectuant une dernière mission et en se retirant du monde obscur. C’était sans compter avec le conflit entre deux frères du clan Vadas qui a prospéré une fois revenu à la vie civile. La sortie d’un des deux frères de prison n’a provoqué que le retour des ennuis. Sylla a-t-elle encore les ressources pour se jeter dans une bataille dont l’issue ne peut être que fatale ?
Après « Croix de cendre », une fresque historique qui plongeait le lecteur dans les affres de la peste noire au XIVème siècle, Antoine Sénanque va chercher dans les tréfonds de l’ère soviétique des personnages troubles et tourmentés dans une atmosphère que n’aurait pas reniée Soljenitsyne. Il aborde cependant un axe original en ne masquant pas l’enfer que créaient les truands et les malfrats qui faisaient commerce de la corruption et du vice pour se préparer un avenir plus souriant.
Un roman qui évite le côté manichéen, celui présentant les individus dans les camps comme étant seulement des victimes et surtout qui démontre la difficulté à s’extirper d’un milieu qui n’oublie pas ni ne pardonne la volonté de le quitter sans avoir payé son du.
Grasset – 23 euros
Parution le 27 août 2025

-
L'homme sous l'orage - Gaëlle NOHANT
Quel plaisir de retrouver la plume délicate de Gaëlle Nohant dans ce nouveau roman historique. Nous sommes en 1917, la première guerre mondiale s'éternise et, légitimement, les soldats et les civils commencent à se poser des questions. S'il est acquis que l'honneur veut qu'il faille mourir au combat pour que mères et épouses endeuillées s'enorgueillissent du courage de leurs hommes, les désertions se font de plus en plus nombreuses et les familles tentent de cacher ceux qui préfèrent la vie même honteuse au charnier. Et quand un jeune homme se présente, de nuit, aux portes d'une propriété viticole, la maîtresse de maison mariée à un militaire, ne peut concevoir un tel déshonneur et refuse de l'aider. Mais c'est sans compter la curiosité de Rosalie: la jeune fille de la maison s'ennuie terriblement depuis le début de la guerre et commence à se demander qui pourra bien l'épouser quand la paix reviendra mais que si peu d'hommes reviendront d'un front meurtrier. Elle va donc désobéir, mettant toute sa famille en danger d'être dénoncée pour avoir hébergé un déserteur, et cache l'homme mystérieux dans le grenier. Au fil des discussions, ils se découvrent peu à peu; le prisonnier volontaire est peintre, la jeune fille est attirée mais cet amour naissant peut-il avoir un avenir? Né dans le mensonge et la dissimulation, lui se sent coupable d'avoir abandonné ses compagnons d'armes, elle, d'aimer un traitre à la patrie alors que son père et son frère sont au Front?
Ce roman explore le sentiment de loyauté sous toutes ces facettes: loyauté envers sa patrie, sa famille, sa place dans la société mais aussi envers soi-même. Les femmes découvrent leur valeur: elles aussi sont capables de prendre en main leur destin sans attendre le bon vouloir d'un homme, elles soignent, travaillent, s'engagent totalement pour leur pays sans porter d'armes, juste leur courage et leur dévouement. Une belle histoire, touchante et sincère.
Lattès - 21.90 euros.
Parution le 21 août 2025

-
Perpétuité - Guillaume POIX
Le milieu carcéral est un monde à part. Dans « Perpétuité », ce sont des moments du quotidien (jour et nuit) que nous allons passer avec le personnel d’une maison d’arrêt du sud de la France. L’ennemie public numéro un va y être transféré et au-delà de l’emballement médiatique, ce sont surtout les surveillants et leurs cadres qui seront au cœur du récit. Des personnes ayant chacun un vécut, un passé, un présent, des petits et grands drames, qui doivent accomplir leur mission : surveiller plutôt que garder des individus que la justice a estimé coupables et de ce fait incapable à plus ou moins long terme de côtoyer la société. Un rythme de vie atypiques aux horaires déstructurés, une kyrielle de procédures et de contraintes qui sont heureusement entrecoupés de moments de décompression tel qu’un repas pris en commun. Mais la réalité de la prison vient vite se rappeler à la fragilité de l’équilibre et il s’en faut peu pour que le stress et le chaos ne reprennent le dessus.
Guillaume Poix fait le choix de s’intéresser au personnel de l’établissement pénitentiaire, assemblant une galerie de personnages variés (le médecin superviseur, le jeune surveillant tout juste rentré, le vieux briscard revenu de tout) dont les fêlures et faiblesses, masquées obligatoirement du fait de leur travail, sont exposées au fil des lignes. Comment maintenir sa propre intégrité mentale lorsqu’on opère dans un univers ou celle des détenus, faute d’accompagnement et de moyens, est de plus en plus altérée ? « Tout le monde crève à petit feu dans l’indifférence générale et personne ne se soucie de leur sort ». Les détenus ou leurs surveillants ?
Un roman coup de poing sur un monde secret, dont on n’entend finalement peu parler et qui stigmatise le mal être de notre société et celui des femmes et hommes qui doivent « surveiller » ceux qui en ont été mis au banc.
Verticales – 22 euros.
Parution 21 aout 2025

-
Calamity Jane, un homme comme les autres - Justine NIOGRET
On a beaucoup écrit sur Calamity, beaucoup et souvent mal car le but était d'écrire une légende, de faire d'elle une figure mythique, un emblème de liberté et un faire-valoir de la brutale colonisation de l'Ouest des Etats-Unis. Justine Niogret lui rend sa chair et sa consistance de femme loin du portrait héroïque de l'icône du Far West. Et c'est une toute autre histoire que l'autrice nous raconte : celle d'une enfant malmenée, d'une jeune fille révoltée et d'une femme brisée. La loi de l'Ouest est faite par et pour les hommes, les femmes doivent plier sans piper mot. Quand Calamity choisit un autre chemin, sa vie ne sera plus qu'errance et douleur. Car la fierté de n'avoir pas baissé la tête, d'avoir refusé les assignations dévolues à son sexe, a un prix et il est élevé. La culpabilité, les mensonges, les abandons et la fuite en avant seront le lot du destin de cette femme.
D'une intensité rare, le roman de Justine Niogret est une balade au coeur des hallucinations alcoolisées d'une Calamity Jane aux portes de la mort, entre souvenirs arrangés et mensonges vrais. Un portrait sans concession, brutal et cru, un texte sombre dans lequel les silences hurlent, les carapaces s'effondrent laissant l'âme à nu d'une femme dépassée par sa propre légende. Puissante, envoûtante, l'écriture nous entraîne de l'autre côté du miroir.
Au Diable Vauvert - 19 euros
Parution 4 septembre 2025

-
Voyage voyage - Victor POUCHET
Il ne sera pas question ici de la cultissime chanson de Desireless mais les références 80's seront nombreuses.
Prêts pour un road trip hors normes, en France, en Renault 21 Nevada? (ça vend du rêve non?). Dans une totale improvisation ou presque, Orso entraîne Marie par un beau matin (pluvieux) sur les routes, direction... autre chose que les larmes et les draps froissés. Suite à un événement douloureux dont vous découvrirez la teneur dans ce roman, le couple n'a, pour commencer ce voyage, que quelques points de chute pour le moins originaux: des musées aux thématiques (en apparence) toutes plus loufoques les unes que les autres. Du musée du Poids au musée de l’Amiante, du musée de la Gendarmerie à celui du Pigeon, en passant par Lourdes, la Moselle et Saint-Tropez, le but est de faire diversion aux pensées tristes. Et ça marche! Dans leurs déambulations hasardeuses, ils croiseront toutes sortes de personnages loufoques et passionnés. Et entre larmes et éclats de rire, l'auteur nous chahute et nous bouscule.
Multipliant les références à la culture pop des années 80 et une bande-son (qui a dit ringarde?) efficace, il nous enjoint à sortir des sentiers battus pour retrouver la joie.
Un joli roman sur l'amour, sur les accidents de la vie et dont la fantaisie et la simplicité met du baume au coeur.
Gallimard - Collection L'arbalète - 20 euros
Parution 21/08/2025

-
Je voulais vivre - Adélaïde de CLERMONT-TONNERRE
Début XVIIème siècle. Par une nuit glaciale, un prêtre découvre à la porte du presbytère, une petite fille de 6 ou 7 ans, vêtements déchirés, ses pieds en sang dans des souliers à boucles d'argent. Elle ne répond pas aux questions du prêtre qui devra se contenter de son prénom: Anne.
Vingt ans plus tard, Anne est devenue Lady Clarick : elle est riche, elle est puissante, elle est reçue aussi bien à la cour d'Angleterre que celle de France et elle a la confiance du personnage le plus important de l'époque, le cardinal de Richelieu, premier ministre de Louis XIII.
Derrière la femme brillante se cache un personnage complexe dont le lecteur aura suivi ses années d'apprentissage et commencer à dessiner les contours d'un caractère plein de vie et de désir de vengeance. Les hommes l'ont traité d'intrigante, d'empoisonneuse, de sorcière.
Et nous la connaissons, enfin nous croyions la connaître: il s'agit de Milady de Winter et c'est l'ennemie jurée des trois mousquetaires d'Alexandre Dumas.
Dans le roman de Dumas, à aucun moment nous n'entendons sa voix, personne ne la défend et l'autrice entend réparer cette injustice, ce personnage de fiction réclame justice.
En effet, est-il "normal" de dire d'une jeune fille d'à peine 15 ans qu'elle a détourné un prêtre adulte du droit chemin? Comment un bourreau, sans jugement, a t-il pu la marquer au fer rouge d'une marque infamante? Et comment dix hommes s'arrogent-ils le droit de la juger alors que deux d'entre eux ont été passionnément amoureux d'elle?
Voici la véritable histoire de Milady, portrait d'une femme dérangeante, qui impose sa volonté par sa présence, ses silences, son regard. Elle est incroyablement attachante.
D'une petite fille traquée portant un effroyable secret, à la jeune fille assoiffée de connaissances, puis la jeune femme aux prises d'un séducteur manipulateur, on découvre une personnalité hors du commun, souhaitant rester libre dans une époque où il est presque impossible de l'être. C'est aussi une mère qui cherche avant tout à défendre les intérêts de son fils.
Milady nous parle des femmes, de la complexité des relations avec les hommes dans un monde, et ce, quelle que soit la période de l'histoire, dans lequel les femmes doivent toujours prouver leur valeur.
C'est un immense plaisir de replonger dans l'univers familier du roman de cape et d'épée. Une réussite de bout en bout pour une réécriture d'un classique qui bouscule les convenances.
Grasset - 24 euros
Parution 20 août 2025
-
Kolkhoze - Emmanuel CARRERE
A travers cet ample récit, à la fois romanesque et intime, Emmanuel Carrère retrace la vie de sa famille sur quatre générations, depuis ses arrières-grands-parents, arrivés de Géorgie en France en 1921. La figure centrale de cette saga est la mère de l'auteur, Hélène Carrère d'Encausse, académicienne, morte en 2023, à laquelle le fils souhaite rendre un hommage littéraire... et c'est totalement réussi. Il faut dire que l'énergie, l'audace, l'ambition de cette femme, née Hélène Zourabichvilli à Paris en 1929, fille et petite-fille d'exilés, a connu un parcours digne d'un roman de Tolstoï ou plutôt de Dostoïevski (le premier n'était pas du goût de l'historienne). L'hommage de la Nation aux Invalides lors de ses funérailles témoignent de ce destin hors du commun.
L'auteur est un habitué des romans familiaux, et il espère avec celui-ci être à la hauteur de celle avec qui il s'était pourtant fâché lors de la parution d'"Un roman russe" , celle qui a été le soleil de son enfance choyée.
Après sa mort, qu'elle a accueillie comme une reine entourée de ses enfants admiratifs de son courage, l'auteur s'est plongé dans ses souvenirs et dans les archives familiales, en particulier, dans les dossiers généalogiques compilés par son père qui n'a survécu à sa femme que quelques mois. Cet homme, dont on découvrira au fil des pages à quel point il a été éclipsé par la personnalité solaire d'Hélène, avait une passion, une fascination même pour l'histoire de la famille de sa femme dans laquelle il a trouvé des personnages historiques plus ou moins inquiétants, en tout cas hautement romanesques. Mais c'est surtout un dérivatif au désintérêt qu'elle lui portait ostensiblement. C'est là, dit l'auteur dans une interview, "la chose la plus triste que j'avais à raconter, c'est ce couple qui a duré soixante-dix ans, sans que survienne entre eux une réconciliation". Ils se sont toujours vouvoyés, faisaient chambre à part.
En dehors de cet aspect, le ton du récit est tendre et enlevé; c'est un ouvrage de deuil mais il est écrit avec une forme de légereté et, on le ressent, une admiration et un amour immense bien que n'omettant pas les parts d'ombre d'une femme exceptionnelle.
L'auteur ne se contente pas de raconter sa mère, il mêle dans son récit l'histoire de la Russie et de la France sur un siècle, jusqu'à la guerre en Ukraine. Et, entre aveux bouleversants, secrets de famille et anecdotes inattendues, Emmanuel Carrère retrace l'histoire de l'immigration russe et géorgienne après la révolution de 1917, les relations franco-russes, l'histoire de la Géorgie dont la brillante cousine de l'auteur a été la présidente bref, chaque intrigue intra-familiale est reliée à un récit plus vaste faisant de ce récit, une grande symphonie qui sans cesse rebondit et repart. Se nourrissant de ses propres reportages, il évoque ce réveil de l'impérialisme russe qui nous sidère aujourd'hui.
Quant au titre, il vient d'un rituel que la très anticommuniste Hélène Carrère d'Encausse avait institué avec ses enfants qu'elle faisait parfois dormir dans sa chambre: elle appelait ça "faire kolkhoze".
P.O.L. - 24 euros
-
Lincoln tragédie - Karen Joy FOWLER
On ne naît pas assassin, on le devient et souvent, les dysfonctionnements familiaux y sont pour quelque chose!
Quand Junius Brutus Booth arrive dans le Maryland en 1821 et s'installe dans une cabane qui deviendra bientôt une ferme, à quelques kilomètres de Baltimore, il vient de fuir l'Angleterre. Il est pourtant célèbre, c'est un très grand acteur shakespearien, mais il souhaite recommencer une vie d'aventure et de liberté, quittant femme et enfant, en compagnie de sa jeune maîtresse, Mary Ann qui lui donnera 10 enfants illégitimes.
Le succès ne tarde pas à arriver malgré le tempérament violent et imprévisible de Junius, alcoolique de surcroît. Mais son public lui pardonnait tout. Ses enfants seront par contre marqués par ses absences autant que par son autoritarisme et ses décisions arbitraires.
L'autrice va nous faire suivre les différents personnages de cette famille, particulièrement les enfants (les 6 survivants) jusqu'à la mort d'Abraham Lincoln en 1865. Car l'assassin du président est le benjamin de la famille Booth, John Wilkes, qui fut lui aussi un acteur, comparé sans cesse à son frère aîné et surtout à la figure du père emblématique.
Nous les suivons donc au travers des soubresauts de l'histoire des Etats-Unis en particulier de la guerre de Sécession et la façon dont, dans une famille résolument anti-esclavagiste, un des enfants a pu prendre fait et cause pour les états confédérés jusqu'à commettre un meurtre.
Que deviennent les liens d'amour filial et fraternels devant l'absurdité de ce geste?
On devine, à travers les nombreux détails, l'énorme masse d'archives que l'autrice a consulté pour nous offrir cette histoire qu'elle n'a pas voulu centrer sur le personnage de l'assassin (d'autres l'ont déjà fait) mais sur chaque membre de la famille et on sort de cette lecture avec une grande empathie pour chacun d'entre eux. Ils ont grandi et évolué tout en gardant des liens très forts en particulier pour leur mère.
Karen Joy Fowler écrit une histoire qui fait écho à l'élection de Trump, à l'assaut du Capitole et à la dangereuse montée de "la cause perdue" dont les nostalgiques d'un passé sudiste grandiose se repaissent.
Presses de la Cité - 25 euros
Parution 4 septembre 2025
-
Jacky - Anthony PASSERON
Encore une histoire familiale dans cette rentrée littéraire mais vue par un prisme différent : les jeux vidéo!
Anthony Passeron, se sert des consoles de jeux de son enfance pour retracer un chemin de vie qu'il a eu avec son père Jacky. C'est ce dernier qui l'a initié avec l'achat d'une Atari 2600 en 1989 et par la suite ce sont des heures et des heures qu'il a passées avec son frère sur leur Game Boy, leur Super Nintendo, leur Mégadrive.
Au début la figure paternelle était là et puis petit à petit elle s'est éloignée...terminée les parties en famille, Jacky, c'est aussi l'histoire d'une déchéance professionnelle, personnelle, familiale...
Un titre original sur une relation brisée avec un père devenu absent, et les jeux comme Madeleine de Proust pour se remémorer les jours heureux.
Grasset - 19.50 euros
-
Notre part féroce - Sophie POINTURIER
En exergue, une citation d'Hermann Hesse tirée du "Loup des steppes" : "en réalité, aucun moi (...) n'est une unité (...) mais un monde extrêmement divers, (...) un chaos de formes, d'états, de degrés, d'hérédités et de possibilités."
En introduction, une mise en garde : ce qui se passe la nuit n'est jamais entièrement vrai, ce qui se passe le jour non plus.
Nous voilà prévenus : cette histoire entre chien et loup, entre roman psychologique et histoire fantastique va nous entraîner sur des sentiers inconnus.
L'histoire commence pourtant de façon banale : Anne est journaliste, mère célibataire d'une ado de 17 ans, Scarlett. Après une série d'articles sur la façon dont un loup a été abattu en France alors qu'il s'agit d'une espèce protégée (et avoir mis en avant le point de vue des biologistes sur la biodiversité), elle est menacée et harcelée. Sa rédactrice en chef l'envoie au vert, lui demandant un article sur une apparition, celle d'une Dame Blanche, au bord d'une route près de Palavas-les-Flots. Cette apparition n'est pas récente et il s'agit de tenter de retrouver les personnes, des ados à l'époque, qui ont été témoins de cette apparition. Cette "escapade" ressemble à des vacances et Anne en profite pour emmener sa mère et tenter un rapprochement avec cette femme qu'elle n'a jamais compris. Toujours mal en point, se plaignant de mille maux, dépressive et énigmatique, elle accepte, contre toute attente la proposition de sa fille à l'unique condition d'être accompagnée de sa voisine et unique amie, alcoolique de surcroît.
Ce sont donc quatre femmes qui vont cohabiter dans une petite location, trois générations liées bientôt par des évènements surprenants. Si son enquête sur la dame blanche, ces apparitions de femmes au bord des routes qui semblent vouloir prévenir d'un danger, commence à prendre tournure, les loups, eux, semblent avoir suivi la journaliste.
Mêlant recherches sur les fantômes, les loups, les loups garous aux souvenirs d'enfance et aux rêves, Anne essaye de comprendre qui est sa mère. Qu'a t-elle vécu, subi pour être si mal en point? Pourquoi Rose, la voisine, est-elle si présente et semble comprendre la fatigue de son amie? Une fille peut-elle sauver sa mère? Que nous racontent les lignées de femmes?
Sophie Pointurier nous plonge dans un univers à la fois déconcertant et étrangement familier. Car cette fable moderne nous parle de notre monde d'aujourd'hui, de sa violence et de la condition féminine en remontant aux sources de la mythologie. Etonnant et fascinant.
Phébus - 19,90 euros
-
Là où naissent le glaces - Jean KRUG
Novembre 1902.
L’Antarctic, une baleinière suédoise commandée par Carl Anton Larsen, navigue en direction de Snow Hill, petite île glacée de la péninsule antarctique. Sa mission ? Récupérer l’équipe du géologue Otto Nordenskjöld, laquelle a réalisé au cours des neuf derniers mois d’hivernage d’importantes observations scientifiques : météorologie, zoologie, glaciologie, cartographie, etc. Mais au bout du monde connu, l’homme n’a pas toujours son mot à dire…
Quand le vent austral transforme la mer en glace, quand la morsure du froid craquèle la coque des navires comme la détermination des hommes, que reste-t-il des espoirs et des rêves ? Quelle lueur pour dissiper la peur et les doutes, si ce n’est la farouche volonté de vivre?
« Toutes ces sensations s’étaient effacées, gommées par les souvenirs indicibles de ces paysages, de ces montagnes, des lueurs bleutées de la nuit, du brouillard diaphane et des flocons soufflés dans le silence nocturne. Tout ce qui réémergeait de son séjour au royaume des morts, c’était l’intensité belle et sinistre de cette tempête, les hurlements du vent sur la baie, la glace disloquée, le contact charnel du soleil sur son dos. »
Argyll - 24.90 euros